Biographie

Edouard LOUIS

Oeuvre(s)

" En finir avec Eddy Bellegueule "

Roman

Seuil

À 22 ans, Edouard Louis est étudiant en philosophie et en sociologie à l’Ecole normale supérieure. Il a participé à la réalisation d’un documentaire sur Michel Foucault pour Arte et dirigé un essai intitulé Pierre Bourdieu: l'insoumission en héritage (PUF, 2013)

Ma mère passait beaucoup de temps à me raconter certains épisodes de sa vie ou de la vie de mon père.
Sa vie l'ennuyait et elle parlait pour combler le vide de cette existence qui n'était qu'une succession de moments d'ennui et de travaux éprouvants. Elle est longtemps restée mère au foyer, comme elle me demandait de l'écrire sur les papiers officiels. Elle se sent insultée, salie par le "sans profession" imprimé sur mon acte de naissance. Quand mon petit frère et ma petite sœur ont été assez grands pour se prendre en charge seuls, elle a voulu travailler. Mon père trouvait ça dégradant, comme une remise en cause de son statut d'homme ; c'était lui qui devait ramener la paye au foyer. Elle le souhaitait ardemment, en dépit de la dureté des métiers auxquels elle pouvait prétendre : l'usine, le ménage ou les caisses du supermarché. Elle s'est débattue. D'une certaine manière, elle s'est aussi débattue contre elle-même, contre cette force insaisissable, innommable, qui la poussait à penser qu'il était dégradant pour une femme de travailler quand son mari, lui, était acculé au chômage (mon père avait perdu son travail à l'usine, j'y reviendrai). Après de longues discussions, mon père a finalement accepté et elle s'est mise à faire la toilette des personnes âgées, se déplaçant dans le village avec son vélo rouillé de maison en maison, vêtue d'un anorak rouge ayant appartenu à mon père plusieurs années auparavant, rongé par les mites et évidemment (la carrure de mon père) trop grand pour elle. Les femmes du village en riaient : "Elle a de l'allure, la mère Bellegueule, avec son anorak trop grand." Quand un jour ma mère a gagné plus d'argent que mon père, un peu plus de mille euros tandis que lui en gagnait à peine sept cents, il n'a plus supporté. Il lui a dit que c'était inutile et qu'elle devait arrêter, que nous n'avions pas besoin de cet argent. Sept cents euros pour sept suffiraient.
« En finir avec Eddy Bellegueule est un premier roman à l’évidence autobiographique […] tout à fait exceptionnel. Un cocktail de Zola, de Dickens et de Vallès, revisité par Etienne Chatiliez (celui des "Groseille"). Très cru, parfois insoutenable, mais aussi tragicomique, comme détaché, et jamais manichéen. » (Jean-Claude Perrier, Livres Hebdo, 15 novembre 2013)