
" Outside the Realm of Time "
For hologram-soloist and orchestra (2022)
Publication : PWM Edition
SÉLECTION 2024
- Sélectionné pour : Le Coup de Coeur des Jeunes Mélomanes 2025
- Sélectionné pour : Le Prix de Composition Musicale 2024
Souvenirs, images revenues.
La vérité est-elle ce dont nous nous souvenons ?
Ce dont nous sommes le souvenir, est-il aussi une vérité ?
La mémoire donne aux images un charme.
La mémoire garde-t-elle des images ou l’essence des choses ?
Ou l’odeur, le goût ou autres choses moins tangibles encore.
Un souvenir n’est que la nostalgie d’un moment.
Pouvons-nous retrouver la créature que nous avons été ?
Vue furtive d’une image.
Les humains vivent dans une furtivité d’images
Multipliées en reflets.
Construction du souvenir.
Images qui se troublent et se fondent.
L’avenir résulte de causes que ne pouvons saisir.
Suis-je hors du temps ou soumis à ses lois ?
Trouvons-nous tous le même sens à ce que nous lisons ?
Et qu’en est-il en traduction ?
Que traduit-on, des mots ou un sens ?
Outside the Realm of Time est une composition qui a été commandée par la Südwestrundfunk. Elle a été exécutée pour la première fois à l’occasion des Donaueschinger Musiktage 2022. A l'issue du festival, l'œuvre a été couronnée du Prix du Symphonieorchester de la SWR. L’œuvre est écrite pour un soliste-hologramme et un orchestre comprenant entre autres trois grands groupes de percussions.
Le texte est basé sur des écrits de Marcel Proust où il parle de la relation et de l’interdépendance du temps et de la pensée. Il présente en courtes phrases précises et provocantes des réflexions sur le passé, le présent et le futur. L’œuvre traite de la relation entre existence et mémoire ; sous l’influence du temps, la mémoire faiblit, et ce qui s’est passé vient à s’oublier, cesse d’exister. La partie vocale comprend également des références au futur et à notre approche d’un inconnu qui demeure dans un domaine de conjectures et celui de notre imagination.
La partie vocale est exécutée en polonais par un hologramme de la compositrice. Celle-ci apparaît en différents costumes qui représentent divers fragments du texte. Aussi bien la partie hologramme (visuelle) que l’orchestrale (sonore) renvoient au contenu du texte et au sujet dont parle celui-ci.
On peut entendre dans la matière musicale une grande diversité et une approche ingénieuse de l’instrumentation, par exemple par la juxtaposition d’instruments aux sonorités extrêmes. L’œuvre explore également les possibilités technique et d’expression de la voix humaine.
L’œuvre dure environ vingt-cinq minutes.
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Texte de Marcel Proust
Mais nous nous représentons l’avenir comme un reflet du présent projeté dans un espace vide, tandis qu’il est le résultat, souvent tout prochain, de causes qui nous échappent pour la plupart.
1 .
Un être… relève de la mémoire, et la mémoire d’un moment n’est pas instruite de tout ce qui s’est passé depuis ; ce moment qu’elle a enregistré existe encore, vit encore, et avec lui l’être qui s’y profilait.
2 .
Je n’étais pas situé en dehors du Temps, mais soumis à ses lois…
3 .
Et cela continuait sa mort, la mémoire suffisant à entretenir la vie réelle, qui est mentale.
4 .
M’aidaient à mieux comprendre la contradiction que c’est de chercher dans la réalité les tableaux de la mémoire, auxquels manqueraient toujours le charme qui leur vient de la mémoire même et de n’être pas perçus par les sens. La réalité que j’avais connue n’existait plus.
5.
Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas, comme les années.
6.
Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
7.
C'est grâce à cet oubli seul que nous pouvons de temps à autre retrouver l'être que nous fûmes, nous placer vis-à-vis des choses comme cet être l'était, souffrir à nouveau, parce que nous ne sommes plus nous, mais lui, et qu'il aimait ce qui nous est maintenant indifférent. Au grand jour de la mémoire habituelle, les images du passé pâlissent peu à peu, s'effacent, il ne reste plus rien d'elles, nous ne le retrouverons plus.