
" Prosoidia "
Pour violon et orchestre
Publication : Fennica Gehrman
SÉLECTION 2024
- Sélectionné pour : Le Coup de Coeur des Jeunes Mélomanes 2025
- Sélectionné pour : Le Prix de Composition Musicale 2024
Le mot « prosodie » fait référence aux propriétés musicales de la parole : le rythme, la hauteur, l’accentuation et les pauses. La musique ne serait-elle pas en fait de la prosodie, c’est-à-dire de la parole sans la dimension sémantique ? Cette pensée fascinante est à l’origine de mon concerto pour violon. Le titre Prosoidia est la forme grecque originale du mot. Le concerto a été commandé conjointement par la BBC, l’Orchestre symphonique de Lahti et le Norrlandsoperan. Je remercie chaleureusement le soliste, Ilya Gringolts, pour sa collaboration à la fois à la commande et à l’élaboration de la partie soliste.
J’ai commencé à rédiger mon concerto au printemps 2022, peu après que la Russie a lancé son assaut brutal contre l’Ukraine voisine. La guerre m’a procuré - et me procure toujours - un sentiment de tristesse, d’impuissance et de frustration. Pour la devise de mon concerto, j’ai choisi une phrase pacifiste de la Russe Marina Tsvétaïeva. En 1915, alors que la Première Guerre mondiale faisait rage, elle a écrit :
Il n’est plus besoin, pour personne sur terre, de lutter contre l’autre.
Regarde – c’est le soir, regarde, il fait presque nuit :
De quoi parles-tu, Ô poète, général, amant ?
Le premier mouvement du concerto, О чем — поэты, любовники, полководцы? (De quoi parlez-vous, Ô poète, général, amant?) comporte des instructions de performance linguistique inspirées de la prosodie, telles que parlando (comme parler) et sussurrando (comme chuchoter). Le deuxième mouvement, Word Stress, fait allusion à la fois au finnois et à une langue, le hongrois, qui est un de mes hobbies ; dans les deux cas, l’accent est toujours mis sur la première syllabe d’un mot. Ce mouvement donne également un aperçu d’un arrangement de chanson folklorique que j’ai réalisé et, à travers lui, de ma relation avec le violon, que j’ai brièvement étudié dans ma jeunesse, notamment en Hongrie.
En réfléchissant à la prosodie, je me suis également souvenu d’une scène du film Viskningar och rop (Cris et chuchotements) réalisé par Ingmar Bergman. Deux sœurs recommencent à se parler après de longues années de silence, et ce moment est plein de charge et de consolation. Bergman estompe le discours jusqu’à ce qu’il ne soit plus audible et le remplace par le mouvement Sarabande de la cinquième suite pour violoncelle seul de Bach. Le troisième mouvement émotionnel et mélancolique de mon concerto s’intitule en fait Prosodie (BWV 1011 & Bergman), et l’auditeur peut y déceler des échos de la Sarabande de Bach. J’ai dédié le mouvement à la mémoire de mon ancienne professeur Kaija Saariaho, décédée en juin 2023.
Lotta Wennäkoski