Biographie

Malika KISHINO

Ⓒ Keiko B. Goto

Malika Kishino reçoit son diplôme de droit en 1994 à Kyoto. En 1995, elle étudie la composition auprès de Yoshihisa Taïra (École Normale de Musique de Paris), de Robert Pascal (Conservatoire National Supérieur Musique et Danse, Lyon) et de Philippe Leroux (IRCAM, Paris). Elle reçoit diverses récompenses de grands studios de musique électroacoustique, notamment du GRAME (Lyon), de SWR Experimentalstudio (Fribourg), de ZKM Karlsruhe et du Groupe de recherches musicales (INA-GRM, Paris) et de nombreux prix et récompenses, dont le Premier prix du concours du Groupe de Recherche Appliquée en Musique Électroacoustique (GRAME) et de l’Ensemble Orchestral Contemporain en 2006, une bourse de l’académie Schloss Solitude de Stuttgart (en 2008-2009), une bourse du Landesregierung Nordrhein-Westfalen (en 2010-2011), ainsi qu’une résidence d’artiste au sein du Künstlerhof Schreyahn (Allemagne) en 2011. En 2018, elle est nommée pour le prix musical Akutagawa au Japon pour son œuvre orchestrale Shades of Ochre.

Elle reçoit des commandes et est programmée dans des festivals tels que Présences, Musica de Strasbourg, la Biennale Musiques en scène de Lyon, Westdeutscher Rundfunk, Bayerische Rundfunk, RBB, la Fondation d’Arts et de Culture de Séoul, le Festival Ultima d’Oslo, le Festival Ultraschall de Berlin, la Biennale de Musique de Venise.

Sa musique est jouée par des ensembles et orchestres tels que Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Bochumer Symphoniker, Chorwerk Ruhr, Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, Hr-Sinfonieorchester, Orchestre Philharmonique de Radio France, Orchestre National de Lyon, Orchestre symphonique de la NHK de Tokyo, Ensemble Musikfabrik, Asko-Schönberg, Oslo Sinfonietta … Sous la direction de Pascal Rophé, Daniel Kawka, Lukas Vis, Christian Eggen, Jean-Michaël Lavoie, Bas Wiegers, Florian Helgath, Lawrence Renes, Yoichi Sugiyama. Son CD portrait, Irisation, est édité en 2014 par le label Wergo et le Deutscher Musikrat. Ses œuvres sont publiées par les éditions Suvini Zerboni de Milan.

 

Oeuvre(s)

" Wolkenatlas "

Pour grand ensemble

Suvini Zerboni

SÉLECTION 2023

12'

> Commande de Südwestrundfunk

Combien y a-t-il d'étoiles ? et combien de nuages ? - Ce sont des questions typiquement enfantines et, pour la plupart, elles sont fascinantes, car plus on y réfléchit, plus on devient curieux.

C'est Norbert Wiener (1894-1964), le brillant mathématicien, père fondateur de la « cybernétique » - aujourd'hui à moitié oublié, bien que ses découvertes se retrouvent dans presque tous les circuits de contrôle utilisés dans notre vie quotidienne - qui a commencé son livre révolutionnaire « Cybernetics » en 1948 (en allemand : « Kybernetik », 1968) par une chanson folklorique allemande. Tout le monde peut la fredonner et elle est d'une profondeur étonnante :

« Savez-vous combien d'étoiles se trouvent 

Sur le firmament bleu ?

Savez-vous combien de nuages vont 

Sur toute la terre ?

Le Seigneur Dieu les a comptés

Pour qu'aucun d'eux ne manque à l'appel

De tous les grands nombres ».

Nous pouvons remplacer « Dieu le Seigneur » par « les astronomes » et « le météorologue » sans rien changer d'autre. En effet, les questions restent les mêmes et la volonté de les compter aussi.

Combien d'étoiles y a-t-il alors ? Les astronomes ont des réponses à ces questions. À l'œil nu, environ 6 500 étoiles sont visibles avec une vue dégagée. Avec les télescopes sur terre et dans l'espace, il y en a beaucoup plus. Et avec l'extrapolation du cosmos, c'est encore beaucoup plus. Actuellement, « Gaia DR3 » est le catalogue le plus complet avec 1,8 milliard d'objets, mais il s’étoffe constamment jusqu'à ce que la dernière de ces très nombreuses étoiles de l'univers soit enregistrée.....

En principe, l’on peut compter toutes les étoiles. Les compositeurs se sont souvent sentis attirés par les étoiles.

Norbert Wiener a vu une polarité entre les objets dénombrables (il se réfère à la mécanique classique, au point de vue de Newton sur l'espace, le temps et le mouvement ; chaque chose a sa place et son temps, sa matière et sa dynamique calculable) et les objets qui ne sont reconnaissables que par des processus, à savoir les nuages !

 

L'idée des « objets qui ne sont reconnaissables que par des processus » m'a inspiré un « atlas des nuages ». Non pas à l'aide de graphiques, de tableaux de positionnement ou de moyens scientifiques, mais par le biais de la musique.

La musique est tout à fait capable de représenter toutes les transitions possibles à partir d'états « intangibles ». Parce qu'il y a tellement de nuances, de dynamiques, d'évolutions, etc. Les nuages changent constamment et se présentent sous une variété infinie de formes : nuages sardines, nuages écailles, nuages mouchetés, nuages ridés, nuages piquetés, nuages bulles, nuages scintillants, nuages striés, nuages cuvettes....

Il existe également un atlas des nuages, l'« Atlas international des nuages », qui classe 27 types de nuages différents en dix types principaux, répartis en trois niveaux d'altitude : les nuages bas (stratus), les nuages moyens (altocumulus) et les nuages élevés (cirrus).

Dans ma pièce « Cloud Atlas », j'essaie de représenter l'infinie variété des formes et des couleurs avec l'immense palette entre le blanc et le gris et leur mutabilité à travers les sons. L'orchestre, qui reste sur la scène, est divisé en trois groupes représentant : les stratus (nuages bas), les altocumulus (nuages moyens) et les cirrus (nuages hauts) - chaque groupe a une sonorité spécifique, outre son propre niveau de tempo, son propre déroulement temporel et sa propre essence, sa direction, sa forme, son geste. Et sa hauteur spécifique.

Les couches circulent entre l'ordre et l'indétermination (le chaos ?), se chevauchant parfois, se séparant souvent les unes des autres... - Il n'est probablement pas nécessaire d'en dire plus, vous pouvez l'entendre.

J'ai été totalement fasciné par l'idée de créer mon propre atlas des nuages à l'aide de sons. Il était clair pour moi qu’il s'agit d'une œuvre musicale - de la matière formée par le son - et non d'un concept scientifique. Et ma musique est soumise à des forces qui se situent entièrement dans le domaine sonore. Je ne peux pas prétendre pouvoir en disposer librement, car, une fois libérés, les sons développent leur propre vie, suivent leurs propres pulsions - mais nous « arrangeons » l'endroit où ils doivent aller. Je forme la pièce - et j'en tire des enseignements.

Une autre idée : les nuages sont des symboles de l'éphémère. Mais que serions-nous sans eux, sans les nuages ?

Malika Kishino (25 juin 2022)

Texte traduit de l’anglais

 

" Prayer / Inori II (2011-2017) "

Pour 2 Soprano, 2 Alto, 2 Tenor, 2 Bass

Editions Suivi Zerboni

SÉLECTION 2020

Création le 24 mars 2018 à St John’s church, Waterlooduring the London ear Festival par Helsinki Chamber Choir, dir. Nils Schweckendiek

 

Prayer / Inori II est une nouvelle version pour huit voix de Prayer / Inori, composée pour une chorale mixte a cappella immédiatement après le tremblement de terre qui a dévasté l’est du Japon le 11 mars 2011. Cette œuvre a été écrite en mémoire de toutes les victimes du tremblement de terre, du tsunami et de la catastrophe nucléaire. Lorsque je pense aux voix humaines, un souvenir particulièrement fort de mon enfance me revient aussitôt. 

Dans mon enfance, j’entendais souvent les chants des Sutras. Ils étaient entonnés par des prêtres bouddhistes et des femmes âgées de la communauté. 

Le rythme et les tonalités adoptés par les femmes étaient légèrement différents de ceux chantés par les prêtres, tout en donnant toujours l’impression d’une seule voix puissante. Le chant des Sutras est en fait une prière, mais à mes yeux, la prière est indissociable du chant.

Notre voix est notre moyen le plus direct de nous exprimer. Et je crois que le chant et la prière ont les mêmes racines.

Le poème que j’ai choisi pour mon œuvre a été écrit par Rabindranath Tagore. Il s’intitule Fruit Gathering No. LXXIX et décrit la prière. Tagore l’a initialement écrit en bengali, avant d’en faire la traduction vers l’anglais. Pour moi, ce texte parle d’une transformation depuis un murmure introverti vers le triomphe d’une liberté sans peur. J’étais en particulier attirée par l’idée d’absence de peur. J’ai en fait découvert que le rythme de notre respiration avait un effet sur nos peurs et nos souvenirs. Lorsque nous sommes effrayés, notre respiration et les battements de notre cœur s’accélèrent. Tandis que des respirations profondes nous aident à nous calmer et à diminuer notre anxiété.

À l’instar du poème de l’univers de Tagore, je me suis efforcée de représenter l’image que je me fais de la prière, en utilisant des sons comme les vibrations de la voix, les soupirs profonds et la respiration, qui nous permettent de ressentir la chaleur de la vie, ou bien sa clarté et sa froideur. Dans certaines sections, chaque chanteur épelle les mots. Tous ces moments se superposent pour générer une énergie considérable.

Dans cette composition, j’ai été attirée par l’idée que de nombreux microcosmes (chaque personne prise individuellement) peuvent former des macrocosmes. Chaque note est un ensemble de partiels et une composition est une accumulation de notes.

L’image d’êtres humains en train de murmurer une prière sur Terre et de rassembler petit à petit l’énergie pour atteindre une hauteur plus élevée me rappelle le processus d’une note fondamentale sans cesse transformée afin de révéler ses partiels et de créer un univers de sons riche.

Cologne, 23 septembre 2017, Malika Kishino (Trad.)

" … Kaum einen Hauch… (2018) "

Pour 10 musiciens

Editions Suivi Zerboni

SÉLECTION 2020

Commande de la Junge Deutsche Philharmonie pour la Freispiele 2018 Goethe Festwoche.

Création le 11 septembre 2018 à Frankfurt, Künstlerhaus Mousonturm - Freispiele 2018 Goethe Festwoche par Junge Deutsche Philharmonie, dir. David Niemann

Über allen Gipfeln

Ist Ruh',

In allen Wipfeln

Spürest Du

Kaum einen Hauch ;

Die Vögelein schweigen im Walde.

Warte nur! Balde

Ruhest du auch.

 

La pièce est une reprise des paroles du Chant de nuit du voyageur II de Johann Wolfgang von Goethe. Elle se compose de deux parties. Tout au long de la pièce, un motif représentant la « respiration » (inspiration et expiration) forme le lit sur lequel passe le courant de la musique. Les premières parties sont faites de neuf sous-parties (respirations), elles-mêmes divisées en trois groupes. Chaque groupe représente différents éléments qui s’ajoutent, comme un mouvement linéaire doux (le courant), des pulsations (le battement de cœur) et des fragments de citations, symboles de l’empreinte chaleureuse laissée par un souvenir. Au travers des neuf respirations de longueurs différentes, la musique s’ébranle progressivement pour atteindre les cimes.

La seconde partie représente le calme, la paix et le repos. 

Comme Goeth l'a dit, le sommet est avant tout calme. Ici, vous ressentez à peine un souffle mais une profonde immobilité.

06.Mai 2018, Malika Kishino