
" Ahania's Lament "
Pour soprano et orchestre
SELECTION 2019
- Sélectionné pour : Le Prix de Composition Musicale 2021
« Sans la foi, il ne peut pas y avoir d’art »
Pour le compositeur et chef d’orchestre canadien Samy Moussa, qui s’est vu remettre le prix Hindemith du SHMF l’année dernière, la musique est une expression personnelle ainsi qu’une expérience physique : C’est avec force et emphase que le jeune Canadien organise les couleurs chatoyantes des grands ensembles, à l’aide desquelles il arrive le mieux à donner une forme concrète à ses visions musicales. Moussa, qui a, entre-autres, étudié auprès de José Evangelista, Matthias Pintscher et Pascal Dusapin, apprécie le geste dramatique : Il se sert de la dimension physique du son et préfère voir ses auditeurs saisis à l’échelle émotionnelle que composés à l’échelle intellectuelle. Le fait qu'il se concentre sur l’idée profondément romantique de « l’inspiration » complète parfaitement le tableau : « Quand je compose pour mettre en œuvre mes pensées musicales, je me fie principalement à mes ‘connaissances’, c’est-à-dire aux outils techniques et esthétiques », explique-t-il. « Mais ces outils ne sont cependant pas suffisants pour écrire une musique qui me satisfasse. Pour donner un sens à une composition, on a besoin d'une intuition profonde. Les ‘connaissances’ ne servent donc que de méthode pour exprimer des contenus qui, je l’espère, vont au-delà des notes.
Bien que je ne pense pas que l’inspiration soit à l’origine de ces contenus, mon imagination joue un rôle majeur pour leur donner forme. La foi y joue un rôle important – la foi en une idée, en une figure ou, encore plus souvent, en une expérience métaphysique. Grâce à des processus de réflexion continus, cette foi est transformée en vérité potentielle, dont le but est la communication. Pour cela, il est nécessaire d’établir une relation avec le mystère. C’est pourquoi je reconnais le pouvoir de transformation de la musique, qui a lieu à deux niveaux différents : au niveau ontologique, créatif et au niveau de la réception. En tant qu’artiste, qui pense de cette façon, il m’est impossible d’être nihiliste, que ce soit dans mon travail ou dans ma vie. Sans la foi, il ne peut pas y avoir d’art, du moins pas dans la façon dont je l’apprécie. »
Il est évident qu'un compositeur comme Moussa soit prédestiné à se pencher sur les textes prophétiques d’un auteur tel que William Blake. Car le poète anglais et adepte du mysticisme de la nature avait confiance dans la puissance de l’imagination et la supériorité de l’émotionnel, ce qui se reflète, entre autres, dans son poème épique « Le Livre d’Ahania » de 1795. Blake y raconte avec une intention allégorique la façon dont laquelle Fuzon, « premier fils engendré et dernier-né » d’Urizen, se soulève contre le père et, telle une incarnation de la passion, se bat contre la raison et les conventions (Urizen). Dans cette parabole mythique, Blake transféra l’histoire biblique de la libération d’Israël de la captivité égyptienne à l’établissement du décalogue et de la crucifixion dans sa propre cosmologie. La fin du poème est constituée par la lamentation d’Ahania (de la joie sensuelle et spirituelle) sur la séparation de son ancien amant Urizen. Par son intensité et sa mélodie, rappelant le « Cantique des Cantiques », ce passage est l’un des passages les plus poétiques des « livres prophétiques » de Blake.