
" Les dentelles de Montmirail "
Pour 2 sopranos, choeur et ensemble
Bärenreiter Verlag
SÉLECTION 2018
- Sélectionné pour : Le Coup de Coeur des Jeunes Mélomanes 2019
- Sélectionné pour : Le Prix de Composition Musicale 2018
Au sommet du mont, parmi les cailloux,
les trompettes de terre cuite
des hommes des vieilles gelées blanches pépiaient comme de petits aigles.
Pour une douleur drue, s'il y a douleur.
La poésie vit d'insomnie perpétuelle.
Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce à voix si basse
que nul ne l'entend jamais.
Il n'y a pas de repli ; seulement une patience millénaire sur laquelle nous sommes appuyés.
Dormez, désespérés, c'est bientôt jour,
un jour d'hiver.
Nous n'avons qu'une ressource avec la mort :
faire de l'art avant elle.
La réalité ne peut être franchie que soulevée.
Aux époques de détresse et d'improvisation, quelques – uns ne sont tués que pour une nuit
et les autres pour l'éternité: un chant
d'alouette des entrailles.
La quête d'un frère signifie presque toujours
la recherche d'un être, notre égal, à qui nous désirons offrir des transcendances dont nous finissons à peine de dégauchir les signes.
Le probe tombeau: une meule de blé.
Le grain au pain, la paille pour le fumier.
Ne regardez qu'une fois la vague jeter
l'ancre dans la mer.
L'imaginaire n'est pas pur ; il ne fait qu'aller.
Les grands ne se perpétuent que par les grands. On oublie. La mesure seule est blessée.
Qu'est - ce qu'un nageur qui ne saurait se glisser entièrement sous les eaux ?
Avec des poings pour frapper, ils firent
de pauvres mains pour travailler.
Les pluies sauvages favorisent les passants profonds.
L'essentiel est ce qui nous escorte, en temps voulu, en allongeant la route.
C'est aussi une lampe sans regard, dans la fumée.
L'écriture d'un bleu fanal, pressée, dentelée, intrépide, du Ventoux alors enfant, courait toujours sur l'horizon de Montmirail qu'à tout moment notre amour m'apportait, m'enlevait.
Des débris de rois d'une inexpugnable férocité.
Les nuages ont des desseins aussi fermés que ceux des hommes.
Ce n'est pas l'estomac qui réclame la soupe bien chaude, c'est le coeur.
Sommeil sur la plaie pareil à du sel.
Une ingérence innommable a ôté aux choses, aux circonstances, aux êtres, leur hasard d'auréole. Il n'y a d'avènement pour nous qu'à partir de cette auréole. Elle n'immunise pas.
Cette neige, nous l'aimions, elle n'avait pas de chemin, elle découvrait notre faim.
René Char (1962) Les dentelles de Montmirail
« Illusoirement, je suis à la fois dans mon âme et hors d’elle, loin devant la vitre et contre la vitre, saxifrage éclatée. Ma convoitise est infinie. Rien ne m’obsède que la vie. » Présente dans l’histoire de la musique essentiellement au travers des œuvres de Pierre Boulez, la poésie lyrique de René Char (1907-1988) constitue également pour le compositeur Manfred Trojahn (* 1949) une source d’inspiration essentielle, une fidèle accompagnatrice de ses pensées esthétiques. Le compositeur travaille actuellement sur le projet Quitter, pour un ensemble choral, vocal et instrumental, en se basant sur le cycle éponyme de huit poèmes de Char, publié en 1962. Les dentelles de Montmirail est le sixième poème, le plus long, et le plus associé au paysage varié des montagnes du sud de la France.
Trojahn a mis en musique la cinquième partie de l’œuvre ! « Je pense que Char y a fixé les pensées, telles qu’elles se forment chez un être qui travaille sans relâche de nouvelles impressions, sans visée intellectuelle dans une situation de départ, et qui note ses aphorismes comme dans un journal, sans songer à les mettre en forme. » Trojahn reprend la séparation des impressions, des sentiments et des moments décrits, à travers différentes petites îles chorales distinctes, formant un étroit archipel. Les 24 chanteurs solistes, répartis en groupes autour du public – « sommets audibles » -, chantent le plus souvent dans une homophonie chorale les paroles qu’ils ont reçues, souvent rythmées vers un son soutenu. La partie instrumentale synchrone se comporte de manière opposée. Pas toujours, naturellement ; ce serait bien trop monotone, et cela n’aurait rendu justice ni au royaume intérieur ni à l’hétérogénéité du poème, et encore moins à l’ars combinatoria du compositeur.
Stefan Fricke (note de programme du 1er mai 2017)