Biographie

David HUDRY

L’écriture de David Hudry se focalise sur une dramaturgie musicale élaborée à partir de personnages et objets musicaux hétérogènes. Inspirée par les arts graphiques, et notamment par les réflexions de P. Klee et W. Kandinsky, sa musique s’articule autour de figures et de gestes qui génèrent des tensions et donnent un caractère visuel à la matière sonore. Fasciné par tout ce que la couleur apporte comme relief et expression aux gestes musicaux, David Hudry attache une importance significative à l’harmonie et à sa capacité à agir directement sur les sens et l’émotion. A la fois rigoureuse et empreinte d’un lyrisme totalement assumé, sa musique se fait l’écho de sa personnalité et met en scène une expression intérieure privilégiant les jeux d’oppositions et de ruptures.
Parallèlement à une formation au Conservatoire de Montpellier, il mène des études de musicologie à l’université Paul Valéry à Montpellier et obtient une Agrégation de Musique en 2002. Il intègre la classe de Composition et Nouvelles Technologies du CNSMDP (E. Nunes, S. Gervasoni, L. Naon) et obtient son Diplôme de Formation Supérieure en 2008. L’année suivante, il est sélectionné pour la session de composition “Voix nouvelles” de Royaumont.
David Hudry a été récompensé par la bourse de la Fondation Meyer (2006), le prix de Composition Pierre Cardin (Institut de France, Académie des Beaux-Arts, 2012), le prix de la “Fondation Francis et Mica Salabert” (2015). Il a reçu récemment le prix jeune compositeur de la Fondation Ernst Von Siemens (2016).
Particulièrement sensible au rapport entre l’écriture instrumentale, son déploiement et son prolongement dans l’électronique, David Hudry recherche très tôt une forme d’interaction vivante entre l’interprète et la machine, et en fait l’un des axes de son travail de composition. En 2006, il intègre le cursus de Composition et Nouvelles Technologies de l’IRCAM (Y. Maresz, M. Malt, J. Lochard, E. Jourdan) dans lequel explore différents outils d’aide à la composition et élabore une réflexion sur les enjeux esthétiques liés aux nouvelles technologies. Sa production musicale atteste de l’intérêt qu’il voue aux nouvelles technologies, non seulement en tant que moyen de production de nouveaux sons mais également en tant que véritable outil de conception.
De nombreux festivals et ensembles soutiennent sa démarche artistique : Extension, Les Musiques (GMEM), Musica, Musiques démesurées Clermont-Ferrand, Archipel, June in Buffalo, BW Ensemble-Akademie, Montréal Nouvelles Musiques, Musique Electronique/Musique Mixte (Centre Henri Pousseur), Vale of Glamorgan, Sound Aberdeen ; Orchestre philharmonique de Radio France, Ensemble intercontemporain, Ensemble Modern, Ensemble Recherche, Freiburger Barockorchester, quatuor Arditti, quatuor Tana, Multilatérale, Ars Nova, Linea, Octandre (Londres), Konvergence (Prague).
La musique de David Hudry se nourrit également du rapport privilégié qu’il entretient avec des interprètes qui l’ont accompagné dans la réalisation de ses idées musicales : P. Strauch, E-M. Couturier et A. Billard (Ensemble Intercontemporain), C. Desjardins, Lorelei Dowling (Klangforum Wien), ou encore S. Ballon, L. Bord, L. Gaggero et L. Camatte.
 

Oeuvre(s)

" Forgotten City "

Pour 27 instruments

Musicales Artchipel

SÉLECTION 2018

Buffalo, état de New York, jadis pôle industriel majeur des Etats-Unis aujourd'hui laissé à l'abandon, ville fantôme victime de la désertion industrielle, dont le développement et le déclin rappellent ceux d’une multitude d'autres villes aux Etats-Unis et à travers le monde. Le titre de la pièce fait référence à l'oubli, à l'abandon qui caractérise l'histoire de cette ville et de toutes celles qui, comme elle, ont cessé de vivre et de fonctionner suite à l’arrêt progressif de leur activité industrielle et à l'exode de leur population. Ces ruines et décombres, témoins du déclin d'une ère industrielle jusqu'alors florissante, portent pourtant encore les traces de l'énergie qui les animait.
C'est à l'occasion de séjours dans la ville de Buffalo que j'ai pu assister au spectacle saisissant de ces usines et habitations abandonnées. Ces friches ont exercé sur moi une telle fascination que j'ai commencé à m'intéresser de plus près à la question des villes et des lieux industriels en déshérence. Plus je me projetais dans ces espaces immenses désertés, plus il devenait nécessaire d’exprimer ces images avec des sons.
Cette nécessité musicale m'invitait à réfléchir sur un nouveau type de dramaturgie, loin de l'idée d'une dramaturgie latente constituée de "personnages" ou "objets" musicaux telle que je l'avais développée à plusieurs reprises dans mes précédents projets d'écriture. Ici, la forme se construit de manière empirique, au gré de scènes tirées d'expériences sensorielles et d'images – photos ou vidéos – de ces lieux désaffectés que j'ai longuement intériorisées.
L'évidence désormais acquise de ce projet musical et esthétique ne s'est révélée qu'au prix d'un long cheminement dont le point de départ impliquait un nouveau type de recherche dans mon travail de composition : une nouvelle approche du son et donc du timbre, un travail plus aigu sur la pulsation et le rythme.
Sans pour autant renoncer à la ligne mélodique qui caractérise ma démarche depuis le début de mes travaux en composition – en témoignent les différents solos de flûte basse, basson et trompette dans The Forgotten City –, il s'agissait de me focaliser davantage sur des gestes instrumentaux plus directifs et acérés, sur des matières sonores toujours denses dont la couleur varie en fonction du degré de mélange entre des réseaux harmoniques préalablement constitués et un travail rigoureux sur les multiphoniques.
Cette pièce m’a également donné l’opportunité d'effectuer de nouvelles expériences sur le timbre en partant de sons complexes liés au monde industriel. Cette démarche, que l'on pourrait apparenter à ce que Gérard Grisey nommait "synthèse instrumentale", à savoir la capacité de recomposer un son complexe en le faisant jouer par un ensemble instrumental, permet de concevoir d’autres modèles d’orchestration du timbre à partir d'un son donné appelé « cible » – ici, des sons liés au monde industriel. Grâce à un nouveau programme développé à l'Ircam nommé « Orchids », il a été possible de chercher et d’élaborer diverses solutions d’orchestration que j’ai ensuite utilisées comme point de départ pour la création de mes propres matières sonores.
Enfin, l’évocation de ces lieux industriels désertés ne pouvait se faire sans chercher à incarner musicalement l’intensité de l’activité sonore qui les animait. En plus d’une approche nouvelle de la pulsation et du rythme qui s’est imposée comme une évidence, j’ai opté pour l’emploi d’une batterie qui, combinée aux autres percussions présentes dans l’ensemble, donne une impulsion particulière et dynamique à l’écriture de cette partition. En jouant avec la polyrythmie et les nombreux décalages d’accents – occasion pour moi de renouer avec ma pratique instrumentale passée : la batterie –, j’ai cherché à évoquer les mécaniques incessantes des machines industrielles dont les pulsations se superposent au point de créer des textures rythmiques complexes.
The Forgotten City est dédié à ma fille Emma. David Hudry (mai 2016)