
" Passion selon Saint Matthieu "
Opéra
SÉLECTION 2024
- Sélectionné pour : Le Prix de Composition Musicale 2024
"Vers 2014, cela m’a frappé : ce que j’avais le plus envie de composer, c’était une Passion selon Saint Matthieu.
Lorsqu’on atteint un certain âge, on prend conscience, en tant que compositeur, qu’on ne pourra pas tout composer, qu’il y a une limite. Alors, sans en parler à personne : ni aux éventuels commissaires, et ni aux institutions, etc., j'ai décidé que tout ce que j'allais composer désormais, allait me conduire à une Passion selon Saint Matthieu.
Évidemment, ce n’est pas exactement ainsi que les choses se sont passées. Entre-temps, j'ai composé de nombreuses œuvres qui n'ont rien à voir avec une Passion selon saint Matthieu ; mais entre mes « œuvres principales », il y en a quelques-unes, plus petites, pour chœur, auxquelles j'ai dit oui, car je pouvais les voir comme des tremplins vers mon objectif.
À travers ces œuvres – au fil de ces années – la forme et les ambiances de ma Passion ont progressivement pris forme, jusqu'à ce que j'aie suffisamment de tremplins pour annoncer que je voulais composer une Passion, ce qui a conduit à une co-commande entre le Festival international de musique religieuse d'Oslo et l'Orchestre symphonique national danois. Orchestre. La première mondiale était prévue pour le 22 mars 2020, mais en raison de la pandémie, la première mondiale aura désormais lieu le 12 mars 2021.
En 2018, j’étais enfin prêt, disposant de suffisamment de fragments pour commencer l’œuvre finale de ma Passion, et j’ai contacté Jakob Holtze et lui ai demandé de créer un texte pour l’œuvre, basé sur de nombreuses « contraintes», souhaits et fragments. Holtze avait déjà travaillé avec mon bon ami et collègue, malheureusement aujourd'hui décédé, Sven-David Sandstrøm, et avait créé le livret de sa Passion selon Saint-Jean.
L'idée de ma Passion était un voyage, une sorte de chemin de croix. Un voyage dans la brume – dans et hors de la lumière. Un voyage vers la crucifixion, mais plus encore un voyage vers la résurrection. J'avais ressenti ma propre foi, une foi en la résurrection plutôt qu'en la mort et la crucifixion.
Dans la musique – et dans mes choix de textes – se cachait une passion amoureuse.
Non seulement la déclaration d’amour du Christ à toute l’humanité, par la crucifixion et la résurrection, mais aussi l’amour simple et beau. La passion pour les gens que nous aimons. La passion qu'on ressent pour l’être aimé.
J'avais – comme je l'ai mentionné – le sentiment de voyager vers la Croix – de voyager dans et hors de la brume. Le sentiment de regarder sur les côtés, au loin, pour voir et lire des fragments de textes – comme des graffitis sur des immeubles ou des murs de maison. Ces textes rappelleraient au voyageur sa situation – sa vie, ses souvenirs. Un peu comme lorsque nous écoutons des paroles de chansons pop qui parlent de nous, alors que nous sommes au milieu de nos passions – de l'amour, du chagrin.
J’ai également décidé, avec Jakob Holtze, que le texte serait en anglais avec quelques passages latins (Crucifixus, Miserere, etc.). En fait, j’avais déjà commencé à chercher des textes anglais avec le mot « brume » pendant mes « tremplins ». J’ai aussi décidé que je ne voulais pas de récitatifs, comme dans la Passion de Bach quand Matthieu est présent. Dans ma Passion j'ai des textes de Matthieu, mais j'ai principalement choisi des textes de six poètes, trois femmes : Södergran, Akhmatova et Dickinson, et trois hommes danois : Frank Jæger, Ole Sarvig et surtout celui qui est lumineux (et mon ami) Søren Ulrik Thomsen.
Sur la base de mes souhaits, Holtze a créé exactement le texte que j'espérais. Dix mouvements – de « In Veils of Mist » – où l'on marche dans la brume, à « Betania », « Psaume », « Wild Nights », « Crucifixus », « Lament », « Tenebrae, « Magdalena », « The Shore Againg »– un voyage circulaire avec des souvenirs de la côte, de l'obscurité, de l'amour et de la crucifixion – vers 'Into the mist', où le voyage disparaît à nouveau avec ces derniers mots de Søren Ulrik Thomsen : « ...le bruit de mes pas va sur, dans la brume ».
Il est clair que lorsqu’on compose une Passion selon saint Matthieu, on travaille à l’inatteignable. La Passion selon Saint Matthieu de Bach est peut-être la plus grande œuvre d’art, tous genres confondus, jamais créée dans notre culture.
Il y a certes des ombres de Bach dans cette œuvre, mais une seule citation cachée. Lorsqu’ils chantent « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », la mélodie du récitatif de Bach se cache sous la mienne."
- Bent Sørensen
Traduit de l’anglais