Biographie

Francesco FILIDEI

Francesco Filidei est diplômé du Conservatoire Luigi Cherubini de Florence et du CNSMDP de Paris. En 2000, il complète sa formation en composition et technologie à l’IRCAM et en 2004 à Voix Nouvelles de Royaumont.

En 2006 il reçoit le Salzburg Förderpreis, la Commande du Comité de Lecture Ircam et est compositeur en résidence à l’Académie Schloss Solitude. En 2007, il remporte le Prix International de Takeju et devient membre de la Casa de Velazquez à Madrid. En 2009 il obtient le Siemens Förderpreis et en 2010 est professeur de composition à Royaumont, à la Iowa University et à l’Académie deTakefu. Il gagne la Medaille UNESCO Picasso/Miro du Rostrum of Composers en 2011 puis devient pensionnaire à la Villa Medicis en 2012. En 2015, il est boursier du DAAD Berlin.

En 2016, il est fait Chevalier de l’Ordre Français des Arts et des Lettres.

Il est invité dans les grands festivals tels que Darmstadt, Donaueschingen, Wien Modern, Musica Strasbourg, Venice Biennale, Milano Musica, Printemps des Arts Monaco, Agora Ircam, Mata Festival in New York, Huddersfield.

Organiste et compositeur, il est enregistré par Radio Tre, RadioFrance, SWR, RSR.

Ses œuvres sont éditées par Rai Trade et jouées - entre autres - par 2E2M, musikFabrik, Linea, l’Itineraire, Alter Ego, Intercontemporain, Percussions de Strasbourg, Klangforum Wien, Recherche, Ascolta, Next Mushroom Promotion, Ars Ludi, Ictus, Neue Vocalsolisten, OSN RAI, WDR, SWR, Tokyo Symphony Orchestra.

Oeuvre(s)

" Tre Quadri (2020) "

Concerto pour piano et orchestre

Ed. Casa Ricordi

SELECTION 2021

Écrites en 2020, les pièces qui composent Tre Quadri forment un concerto pour piano et orchestre classique, avec un large premier mouvement de caractère instable, suivi d’un andante central à l’allure presque suspendue, pour se terminer par un allegro en forme de scherzo.

 

I – November

[…] Depuis le registre aigu et cristallin du piano, qui suit de manière irrégulière une gamme chromatique descendante, on découvre les registres graves et profonds de l’orchestre ; des pianissimos imperceptibles des cordes en tremolo sul ponticello, on atteint, au travers de crescendos progressifs, une répétition d’accords dissonants en fortissimo à laquelle prennent part tous les instruments. Le titre de cette pièce s’inspire probablement des reflets automnaux dépeints par l’orchestre, d’un poème d’Edoardo Sanguineti et d’un autre poème de Nanni Balestrini, de la Toussaint et du Jour des Morts, de la pluie et du vin rouge.

Commande conjointe de la Milano Musica, de la Casa da Música de Porto, du Festival international de musique contemporaine Automne de Varsovie.

Cette pièce est dédiée à Maurizio Baglini et Tito Ceccherini.

 

II – Berceuse

Dans un mouvement de berceuse en sept huitièmes, cette courte pièce est entièrement construite sur l’ajout des douze gammes majeures. [...] La pièce ne quitte pas son point de départ. Un simple vernis transparent et brillant, de couleur vert clair, recouvre tout, laissant apparaître des teintes nettement chopiniennes. Par ce procédé, j’ai voulu éclairer d’un jour nouveau cette pièce tonale (qui est à la fois sérielle, dodécaphonique et modale). En ce sens, à mes yeux, la pièce est une variation sur les intentions et la vision de la tradition.

Cette pièce est dédiée à Jiji des Corsicarlins.

 

III – Quasi una Bagatella

Comment rendre hommage à deux des plus grands compositeurs de tous les temps ?

Je me suis déjà efforcé de répondre à cette question lorsque j’ai orchestré plusieurs œuvres pour orgue de Johann Sebastian Bach, dans Killing Bach. Mon but était de faire ressortir la construction bachienne. Lorsque Patrick Hahn et François-Xavier Roth m’ont demandé de faire une pièce qui repose sur le Concerto pour piano no 5 de Beethoven, connu sous le nom de Concerto Empereur, je me suis presque immédiatement rendu compte qu’il ne s’agirait en aucun cas d’une opération semblable : Bach construit, Beethoven détruit.

Comment pouvais-je donc à mon tour détruire un destructeur ?

Je me suis attelé à ce problème pour le circonscrire à son noyau. Je n’ai cependant pas eu besoin de beaucoup creuser : le contenu utilisé par Beethoven se résume essentiellement à des gammes et des arpèges. C’est donc de là que je suis parti. Je voulais qu’ils prennent part à la discussion, différemment de l’original, mais en conservant la même inspiration.

Contrairement à Killing Bach, dans lequel les citations directes étaient nées avant leur traitement, les références au concerto original s’intègrent dans une architecture faite de gammes et d’arpèges presque archétypaux. Depuis le titre (mimique de Fantasia quasi Sonata et de Sonata quasi una Fantasia) jusqu’aux techniques de piano utilisées, j’ai également réussi à glisser avec humour un peu de Franz Liszt, le premier grand prophète de Beethoven.

Cette pièce est une commande du Gürzenich-Orchester Köln.

Francesco Filidei

" Requiem (2020) "

Pour chœur (16 voix) et 17 instruments

Ed. Casa Ricordi

SELECTION 2021

Me voici donc, la partition est terminée et il me reste à écrire les notes de programme. Ah, ma vision s’est empirée, mon dos me fait souffrir et les mêmes questions futiles reviennent me hanter. Que faire de la vie et de la perception que le temps file ? Que faire de tous mes souvenirs et du passé lui-même ? Et qu’en est-il de toutes ces questions qui ne cessent de me tourmenter ? Celui qui cherche une réponse à ces questions en reviendra bredouille. Sur une note plus légère, mais que suis-je donc censé écrire pour remplir une demi-page sur le programme du concert ? Pour un Requiem ?

Le risque de glisser dans une rhétorique facile me guette et j’aimerais éviter de me transformer en présage funeste qui planterait ses griffes sur la plus récente crise survenue soudainement.

J’ai en tout cas abandonné de tenter de comprendre si écrire un Requiem a encore du sens de nos jours. La raison qui m’a conduit à le faire est un mystère, que je n’ai toujours pas réussi à résoudre.

Une chose est certaine cependant, depuis que j’ai composé mes premières pièces, j’ai placé au centre de mes réflexions une enquête sur l’absurdité qui semble nous accompagner où que nous alliions et quoi que nous fassions. Lorsque nous grandissions, nous sommes pleins de promesses et d’espoir, et nous finissons par nous volatiliser, en ne laissant derrière nous que peu de choses auxquelles nos quelques connaissances puissent se raccrocher. Par ailleurs, l’absence d’un quelconque bureau des réclamations auprès duquel nous pourrions nous plaindre de la misère de nos existences ne nous aide pas beaucoup, tandis que nous essayons de trouver à sens à tout cela.

Je peux déjà imaginer ce qui restera de moi après mon départ. Peut-être quelques commentaires d’un hypothétique directeur artistique qui pourrait déclarer « Ah, oui, Filidei... Bien sûr que je me souviens de lui. C’est le type qui voulait toujours plus d’argent pour ses commissions, qui écrivaient des notes de programmes pathétiques et ne les envoyaient qu’après un tout dernier appel menaçant. Il passait son temps à bricoler avec ces chants d’oiseaux qu’il faisait apparaître ici et là dans ses partitions. Ce n’est pas étonnant qu’un jour, pouf ! Quelqu’un a dû le prendre pour un vieux hibou et c’en était fini de lui. De toute façon, en fin de compte, il a passé son temps à recycler de vieilles œuvres et c’est tout. Requiescat in pace, etc., etc. Amen. »

Non, je plaisante. Ce n’en est pas fini de moi, ni de mes radotages. Je suis toujours là, assailli par mes pensées sur la fin, qui ne cessent de me ramener au tout début. À tel point que ma musique déborde de danses de la mort, du triomphe de la mort, de gestes finis, du silence de la mort. J’ai même eu l’idée funeste d’écrire Les Funérailles de l’anarchiste Serantini et, lors des répétitions, je pouvais lire quelque chose comme : « Mardi, 15 h. Filidei : Funérailles ». 

Le moment n’est-il pas venu de changer de direction pour se lancer dans l’écriture de polkas et de mazurkas ? Mais comment mettre fin à cette obsession que j’ai pour la fin ? Célébrer une messe en son nom ?

Peut-être pas. Dans toute la musique que j’ai écrite, il manquait un Requiem. Alors j’en ai ajouté un, juste pour parfaire le tout, j’imagine. À tous ceux qui trouvent étrange qu’un non-croyant écrive un Requiem et qu’en plus, il ait recours à des paroles pieuses, voici ma réponse : si le fait de devenir organiste n’a jamais été très loin de mon besoin d’écrire un Requiem, c’est en grande partie dû à mon désir d’évoquer la sensation mélancolique à la racine d’un tel choix, le type de sensation que seule peut produire une forme musicale morte depuis longtemps.

Bien que je ne croie pas en Dieu, je m’efforce de croire en la passion de notre histoire et en ce que nous pouvons nous rappeler de notre passé, ainsi qu’en la volonté de préserver toutes les émotions qui survivent. C’est pourquoi j’aime utiliser des textures pleines d’expériences vécues. Il est plus facile de se reconnaître en elles et d’observer les chemins empruntés. Une manière de contredire, à chaque fois qu’il le faut, ces mêmes chemins qui, cependant, ne cessent de surgir dans le présent. En tous cas, c’est une utopie de ne partir de rien, alors autant prendre ce qui nous est donné. Ensuite, une fois que la pièce a grandi pour atteindre sa maturité, son destin est celui que Dieu en décide ou non. Ai-je bien dit Dieu ? Une ironie due à mon nom de famille* qui m’a toujours condamné à faire mes comptes, dès que Dieu fait son entrée dans la conversation. Croisons les doigts !

Je suis toujours là, mais c’est bientôt fini. Plus que quelques lignes et j’aurai terminé de me battre avec des mots (une tâche pénible, mais qui doit bien être effectuée par quelqu’un, à savoir moi dans ce cas) plutôt que de m’exprimer par des notes. Lorsqu’on y pense, j’aimerais bien voir ce dont serait capable un auteur si on lui demandait d’expliquer un de ses romans à l’aide de sons au lieu de mots. Crac ! Pan ! Boom !

Je divague, mais terminons. Pour ce qui est des auteurs, une dernière pensée. La première de cette pièce sera donnée au Portugal, j’aimerais donc la dédier à Antonio Tabucchi. Requiem est le titre de l’un de ses meilleurs ouvrages. Le récit se déroule à Lisbonne, suspendue dans le temps. La dernière fois que j’ai parlé avec Tabucchi, c’était lors de l’une de ces rencontres folles, à l’image de celles qu’il décrit dans son roman. Il était très mélancolique, assis à un bar de l’aéroport de Pise. Nous avions convenu de nous revoir à Paris, où il vivait, mais je ne l’ai finalement jamais revu. Ce Requiem lui doit quelque chose. En dépit du latin. En dépit des formes rigides, qu’il n’aurait peut-être pas approuvées.

Francesco Filidei

" Ballata N°7 (2018) "

Pour ensemble

Ed. Casa Ricordi

SELECTION 2021

Au fil des ans, j’ai souvent ressenti le besoin de faire évoluer ma langue musicale, pour passer d’un langage intégralement composé de bruits à une langue faite de sons purs. Toutefois, quelques éléments restent inchangés et sont le signe d’un chemin parcouru clair et doté d’une cohérence intérieure. Lorsque j’observe la liste de mes œuvres, je remarque au premier abord l’utilisation fréquente de titres qui font référence aux formes musicales du passé : toccate, sonates, ballades et préludes. Il ne s’agissait alors pas tant de remplir une coquille formelle vide avec du contenu inhabituel que de mettre en contexte un objet musical, d’offrir au spectateur un possible cadre de référence. Une fois ce chemin emprunté, il fallait sans cesse le rouvrir et le remettre en question.

C’est dans l’écriture de la musique que j’ai trouvé l’occasion la plus propice de garder vivant le souvenir de ma propre histoire, ainsi que de nombreuses autres histoires, car la musique est à l’image d’un fil conducteur capable de mettre le temps en couleur, ce même temps dans lequel les souvenirs évoluent. La nécessité de limiter ce temps afin de mieux l’observer m’a conduit à m’intéresser au motif en arc fermé et à un usage économe d’un contenu minimal, qui guident l’attention vers une évolution linéaire du langage musical. Mes Ballate n’évoquent pas simplement une forme romantique ; au-delà de tout cela, elles comprennent aussi des parties de mon chemin vers un procédé de construction exhaustif.

Ballata N.7 poursuit cette quête tout en traçant des liens vers d’anciennes partitions : vers Ballata N.2 (car les deux pièces, contrairement à toutes les autres Ballate, ne mettent pas de soliste en scène), vers Ballata N.6 (en raison des similitudes avec le langage) et elle ressemble aux Ballate N.4 et N.5, car elle partage des liens forts avec ces pièces écrites au même moment. Dans Ballata N.7, la forme du contenu s’inspire de notes de l’opéra Inondation, qui repose sur un texte de Evgueni Zamiatine (créé en septembre 2019 à l’Opéra Comique de Paris). L’aboutissement est une musique avec un caractère dynamique, plus proche des ballades de Liszt que de mes précédentes partitions. Ballata N.7 est dédiée à Shinichi Baba, un maître Tai Chi, qui nous a quittés il y a peu.

Francesco Filidei

" Giordano Bruno "

Opéra

Rai Com

SÉLECTION 2017

Condamné au bûcher par l'Inquisition romaine, Giordano Bruno (1548-1600) est le personnage central et charismatique du premier opéra de son compatriote Francesco Filidei. Musica coproduit la création de cet événement européen dont Peter Rundel et Antoine Gindt sont les maîtres d'oeuvre.

Au terme du procès, le pape Clément VIII refusa finalement sa grâce au condamné qui, huit ans plus tôt, s'était ainsi présenté à ses juges : « J'ai pour nom Giordano Bruno, je fais de lettres et science profession » (scène 5).

Sa vie de lettres et de science, Bruno l'a consacrée à la publication obstinée de nombreux ouvrages (dont la trilogie Le Souper des Cendres, Cause, principe et unité et L'Infini, l'univers et les mondes développe ses conceptions post-coperniciennes et anti-aristotéliciennes), et pendant près de quinze ans, à un interminable périple européen – Genève, Toulouse, Paris, Londres, Wittenberg, Prague, Francfort... En 1591, de retour en Italie, à Venise précisément, il est livré à l'Inquisition par son protecteur supposé, Giovanni Mocenigo, qui l'a engagé pour recevoir l'enseignement mnémotechnique et d'autres savoirs hermétiques dont Bruno est un adepte incontestable.

La dénonciation fait état de ses opinions et propos hérétiques et blasphématoires : théorie des mondes infinis, métempsychose... négation de la trinité, de la transsubstantiation ou de la virginité de Marie. Le 17 février 1600, un témoin du bûcher rapporte les paroles qu'aurait proférées Bruno à ses accusateurs (« vous portez contre moi une sentence avec peut-être plus de crainte que moi qui la reçois. ») et établit d'une certaine manière le mythe du supplicié : frère dominicain excommunié, apostat persécuté par l'ordre religieux, il devient à travers les siècles symbole de liberté d'opinion, incarnation de l'anticléricalisme, sorte de Jeanne d'Arc de la pensée contestataire.

Francesco Filidei a composé son opéra en deux parties (Venise, Rome) et douze scènes qui alternent en une stricte déclinaison chromatique la chronologie du procès et l'exposé de la philosophie brunienne. Surtout il place au centre de l'ouvrage un ensemble de douze voix solistes – sorte d'alter ego du rôle-titre –, qui est le véritable moteur musical et scénique du projet. « Un opéra qui parle de la masse » dit-il, comme si ces voix influençaient autant qu'elles condamnent cet « homme d'une petite taille, avec un peu de barbe noire », philosophe incontrôlable, jouisseur et contradicteur insupportable.

Les douze tableaux sont portés par une musique incandescente qui puise sa force expressive aux sources de la Renaissance italienne. L'opéra résonne étrangement avec une actualité où l'intolérance religieuse et idéologique semble à nouveau concurrencer les principes de pensée et de réflexion.

Antoine Gindt