Biographie

Thomas ADES

© Brian Voce

 

Thomas Adès étudie le piano à la Guildhall School of Music & Drama et la musique au King’s College de Cambridge. Compositeur, chef d’orchestre et pianiste de renom, Adès est décrit en 2007 par le New York Times comme l’un des « musiciens les plus accomplis » de notre époque.

Son opéra de chambre, Powder Her Face (1995) est joué partout dans le monde, tandis que The Tempest (2004), commande du Royal Opera House de Londres, est depuis produit par les plus grandes salles du monde, dont le Metropolitan Opera de New York. Il a fait l’objet d’un DVD édité par la Deutsche Grammophon et récompensé par un Grammy Award. Le troisième opéra de Thomas Adès, adaptation du film de Luis Buñuel, L’ange exterminateur, est créé au Festival de Salzbourg en juillet 2016, avant d’être produit à Londres, New York et Copenhague.

De 1993 à 1995, Adès est compositeur associé au Hallé Orchestra, période au cours de laquelle il produit These Premises Are Alarmed à l’occasion de l’inauguration du Bridgewater Hall en 1996. Asyla (1997) est créé pour Sir Simon Rattle et l’Orchestre symphonique de Birmingham. En 2005, Adès propose pour la première fois son Concerto pour violon : Concentric Paths pour Anthony Marwood et l’Orchestre de Chambre d’Europe au Berliner Festspiele et aux BBC Proms. Sa musique de chambre compte deux quatuors à cordes, Arcadiana (1994) et The Four Quarters (2010), un Quintette avec piano (2000) et Lieux retrouvés (2009) pour violoncelle et piano.

Son œuvre Tevot (2007) est commandée par la Philharmonie de Berlin et le Carnegie Hall, tandis que In Seven Days (un concerto pour piano accompagné d’images animées) est donné en 2008 à Londres et Los Angeles. Polaris (2011) est créée pour la première fois à Miami par le New World Symphony sous la direction de Michael Tilson Thomas ; elle est ensuite chorégraphiée avec grand succès par Crystal Pite lors d’une nuit consacrée à Thomas Adès au théâtre Sadler’s Wells de Londres. Parmi les chorégraphes qui ont travaillé sur la musique d’Adès, on compte notamment Karole Armitage, Kim Brandstrup, Wayne McGregor ou encore Ashley Page. Totentanz pour mezzo-soprano, baryton et grand orchestre est présentée au BBC Proms de 2013 par l’Orchestre symphonique de la BBC. Tandis que Luxury Suite from Powder Her Face (2017) est commandée par Sir Simon Rattle et la Philharmonie de Berlin.

Thomas Adès dirige régulièrement la Philharmonie de Los Angeles, l’Orchestre symphonique de Londres, l’Orchestre royal du Concertgebouw, les orchestres symphoniques de Melbourne et de Sydney, l’Orchestre symphonique de la BBC et l’Orchestre symphonique de Birmingham. Il est le premier partenaire artistique de l’Orchestre symphonique de Boston, avec lequel il donne en mars 2019 la première représentation d’un Concerto pour piano et orchestre, accompagné du soliste Kirill Gerstein.

Adès a été récompensé de nombreuses fois, notamment par le Prix musical Léonie-Sonning en 2015, le Prix Leoš Janáček ainsi que le prestigieux Grawemeyer Award (2000), duquel il est le plus jeune lauréat. Il est nommé Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique lors du Queen’s Birthday Honours de 2018. Thomas Adès a été directeur artistique du Festival d’Aldeburgh de 1999 à 2008 et il enseigne chaque année le piano et la musique de chambre au Séminaire international des musiciens de Prussia Cove.

 

 

Oeuvre(s)

" Concerto pour piano (2018) "

Editions Faber Music

SÉLECTION 2020

Commande du Boston Symphony Orchestra pour Kirill Gerstein
Création le 7 mars 2019, au Symphony Hall, Boston, par le Boston Symphony Orchestra, dir. Thomas Ades

Lors du premier mouvement, Allegramente, le piano expose le thème, suivi par un tutti. Un pont rappelant une marche mène à un deuxième thème plus expressif, d’abord joué au piano, puis repris par l’orchestre. Le développement interroge alors le premier thème, avant qu’une mini-cadence en octave ne mène à la réexposition ff. S’ensuit une cadence solo qui reprend le deuxième thème, d’abord jouée en trémolo, puis sur de nombreuses octaves, le piano étant rejoint par le cor, puis par l’ensemble de l’orchestre. Le mouvement se conclut par une coda qui reprend le premier thème et la marche.

Le deuxième mouvement, Andante gravemente, commence par une introduction harmonique, puis une mélodie, ensuite rejointe par une contre-mélodie et une seconde idée avec une mélodie simple descendante par-dessus une harmonie ascendante. La première mélodie réapparaît et mène à un apogée fortissimo, pour ralentir vers un exposé final du thème initial et une coda qui reprend la contre-mélodie.

Le final, Allegro giojoso, commence par un appel aux armes à trois accords, suivi par un thème désordonné pour piano et orchestre. Il est ensuite interrompu par l’entrée en fanfare d’un solo de clarinette qui annonce un canon burlesque. Une grande dispute éclate alors, faisant ressortir des différences d’opinions sur la tonalité, à laquelle met fin l’appel aux armes. Finalement, le piano entame un nouveau thème qui prend l’apparence d’une balle rebondissante en train de dévaler des escaliers et le développe vers un apogée harmonique. Le thème désordonné est élaboré et l’appel aux armes retentit de toute part, menant à une impasse, puis un ralentissement du tempo. S’ensuit alors une nouvelle section lente (Grave) en trois temps, avec un thème descendant.

Ce thème débouche sur un précipice dans lequel le piano bascule en entonnant le thème désordonné initial, et une coda qui rassemble tous les autres thèmes, pour une résolution de l’appel aux armes.

Thomas Adès

" Totentanz "

Pour mezzo-soprano, baryton et orchestre

Faber Music

SÉLECTION 2014

Totentanz est un arrangement pour deux voix et grand orchestre du texte accompagnant une frise qui était suspendue dans l’église Sainte-Marie de Lübeck, en Allemagne, représentant chaque membre de la société dans la « Danse Macabre » dans l'ordre décroissant, en commençant par le pape et se terminant par le bébé. La Mort est interprétée par un baryton, et toute l’espèce humaine chantée par une mezzo-soprano. Il est dédié à la mémoire de Witold Lutoslawski.
Thomas Adès (trad.)

La Danse, sauvage mais étroitement contrôlée, avec toute la sauvagerie que cela nécessite, la danse à la fois enivrante et sinistre, la danse qui s’empare de nos corps comme de son propre corps - danse d’engagement total et d’intempérance, telle est l’une des caractéristiques de la musique de Adès, du moins depuis le troisième mouvement de son Asyla. La revoici de nouveau, plus présente encore qu’auparavant.


La Totentanz, ou Danse de la Mort, est un sujet qui a frappé l'Europe au XVe siècle, peut-être à cause de l'humanisme de la Renaissance, qui plaçait une valeur absolue dans l’individu, s’élevait contre le destin commun de l'humanité. Adès a pris l’image de cette danse ultime et son texte, peinte en 1463 sur une toile d'une trentaine de mètres de long accrochée dans l'église Sainte Marie de Lübeck (en Allemagne, sur les bords de la Baltique). Elle-même soumise à la   « mortalité », la toile a été remplacée par une copie au début du XVIIIe siècle, et cette copie a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. Des reproductions de cette dernière ont cependant survécu, et Adès s’en est inspiré. Elles montraient la mort main dans la main avec des représentants de l'humanité à tous les niveaux, en s'adressant à chacun différemment à travers des légendes sous-jacentes, mais avec le même message inéluctable, auquel chacun répond, en général avec une résignation douloureuse.


Adès réduit le casting des personnages humains de vingt-trois à seize, adapte les mots, et incarne la Mort à travers un baryton lyrique assez déclamatoire, tandis que la mezzo-soprano chante pour toutes ses victimes. Dans le texte, les deux voix alternent largement, mais avec la différence importante que lorsque chacun des êtres humains répond directement à l'invitation de la mort à la danse, la mort est toujours en mouvement vers le prochain. Adès fait varier ce dialogue de va-et-vient dans les derniers stades de son oeuvre, mais il reste encore le cas où les réactions humaines, diversement exprimées, car elles peuvent l’être, sont toutes futiles. La mort n'a pas une grande capacité d'écoute.


L'interaction entre celui qui déclare seulement et ceux qui entendent et répondent, entre la déclaration et la réponse, entre assignation réitérée et complainte toujours renouvelée, est poussée vers l'avant par et au sein d'une immense machine orchestrale, comprenant une grande section de percussions. Cette machine, nous pourrions l'imaginer, nous donne la voix de Grand allié de la Mort, le Temps, qui entre avec fracas sur une montée d’accords puis, dans des octaves à travers tout l'orchestre, amène le baryton à présenter, tel un prédicateur, ce qui va se jouer.


Même si le prédicateur s'adresse à nous, la danse, qui tourbillonne et se gonfle à partir d'une oscillation initiale, a déjà commencé – par un piccolo - mais il se passe réellement quelque chose lorsque le baryton prend la voix de la mort, pour appeler le pape. La proposition de la mort est différente à chaque fois, en fonction du destinataire, et, dans une partition qui se caractérise dans une forme à la fois peinte et écrite, chaque caractère humain a une voix différente, et un orchestre différent. Le pape, par exemple, chante avec cordes aigues dans un rythme libre, le cardinal avec des bois et des cordes en croches fluides, qui sont peut-être un moyen de s’échapper – et, dignement, c'est là que la Mort réapparaît, pour créer un duo. Une écriture musicale d’une diversité constante et des détails éloquents sont le résultat des scènes changeantes, alors même que la danse est tout le temps en attente dans les coulisses, souvent prête, entre ces discussions inutiles, à faire un bon de nouveau en avant.


Il y a aussi des moments de silence, d'un vide exquis exprimé, comme dans le dialogue avec le moine. Puis, après que le chevalier ait eu son mot à dire, avec des battements doux et la danse des hautbois, la Mort devient plus impatiente et se précipite vers le maire, le médecin et l'usurier. Après cela vient un duo lent de la Mort et du marchand, leurs voix se déplacent ensemble lorsque l'orchestre se prépare pour l'éruption culminante de la danse. Pendant un moment, cela semble épuiser la Mort, et elle permet à l'employé de la paroisse de s’exprimer - dans un passage de délicats pianissimos - avant, pour une fois, de carillonner, en second lieu, lyriquement. Deux autres longues scènes suivent, avec l'artisan (autoportrait) et le paysan, « représentant peut-être», le compositeur le suggère, «les pôles opposés à l’extrême de la résistance humaine et de l'acceptation, de l'animosité ou son absence de la Mort ». A ce stade, nous pouvons sentir que la danse de la mort devient de plus en plus une chanson d'amour de la mort, ce qui conduit à une autre scène pianissimo, avec la jeune fille.


A présent, il ne reste plus que, seul au monde, un enfant. L'enfant a peu de mots, qu’il répète encore et encore, avec passion grandissante, avant de sombrer dans les bras de la Mort.
Totentanz a été commandé par Robin Boyle dans la mémoire de Witold Lutoslawki (1913-1994) et de sa femme Danuta.


Paul Griffiths (trad.)