" Shadow of Future (2019) "
Pour ensemble
Ed. Boosey & Hawkes
SELECTION 2021
- Sélectionné pour : Le Prix de Composition Musicale 2021
La pièce de Magnus Lindberg reprend le titre d’un poème d’Edith Södergran (1892–1923), finnoise, comme lui, d’une famille et de langue suédoises. Södergran figure parmi les pionniers des modernistes suédois qui ont employé les vers libres. Elle écrivait à la première personne, un « je » très proche d’elle-même. Son « Shadow of the Future » (Ombre de l’avenir), datant de la Première Guerre mondiale ou juste après, commence ainsi : « Je sens l’ombre de la mort ». Après six vers consacrés au destin et au pressentiment, dans un second temps, le poème se tourne alors vers la lumière : « L’avenir projette sur moi son ombre sacrée, qui n’est rien d’autre que les fluides rayons du soleil ». Sa santé en déclin, la poétesse a la prémonition d’un temps après sa mort, un temps où elle est néanmoins pleine de lumière.
C’est cette certitude de la vie au sein même de la mort qui a amené pour la première fois l’an dernier Lindberg à Södergran lorsqu’il a répondu à une commande pour une pièce marquant le centenaire de l’armistice de la guerre de 14-18 : Triumph to Exist, qui reprend également un poème datant de la guerre. « Son univers continue de m’habiter, explique-t-il. Lorsque je pense au monde actuel et à toutes les ombres qui assombrissent notre avenir, je pense que nous devons nous accrocher à un tel optimisme ». D’où le rayonnement et le caractère bondissant de Shadow of the Future, dont il a commencé l’écriture pour l’Ensemble intercontemporain immédiatement après sa pièce commémorant l’armistice.
Cette nouvelle œuvre est fortement thématique, presque avec insistance. Elle repose sur un thème en deux segments, présenté immédiatement par les cuivres, dès les premières mesures : la pièce s’ouvre sur une marche en quarte par tranches d’une seconde majeure et d’une tierce mineure. Elle est suivie d’une ascension plus variable, qui se propage souvent à toute la gamme et se conclut par un repli. La grande musique est déjà sous-entendue, et la promesse est tenue. À mesure que le contenu est élaboré, l’attention passe d’une famille d’instruments à une autre, au groupe des percussions, piano, harpe et deux percussionnistes jouant du vibraphone et du marimba (ajoutant une pointe d’exotisme).
Au bout de quelque trois minutes, la pièce (d’une durée de 17 minutes) se tourne vers la deuxième de ses quatre sections et les bois, tout en légèreté, se soulèvent doucement parmi les majeures ascendantes. Les cuivres restaurent le thème central et l’activité s’intensifie, jusqu’au commencement de la troisième section. Cette dernière met en scène des accords majestueux, que ces musiciens n’ont que rarement l’occasion de jouer ensemble, mais se termine par un duo de hautbois qui élabore une brève figure circulaire entendue dans la première section. Des figures semblablement lancées envahissent tout l’orchestre au début de la dernière section, durant laquelle les cuivres commencent par rester silencieux. Ils reviennent tout d’abord tout doucement, mais énoncent bientôt des rappels du thème. Arrive enfin le climax, avec l’éclat des accords de la troisième section et de nouvelles figures dansantes. Le retour des secondes majeures ascendantes entraîne la pièce vers sa coda.