Biographie

Magnus LINDBERG

© Philip Gatward

Magnus Lindberg est né à Helsinki en 1958. Après des études de piano, il entre à l'Académie Sibelius où ses professeurs de composition incluent Einojuhani Rautavaara et Paavo Heininen. Ce dernier encourage ses élèves à regarder au-delà de l’esthétique conservatrice et nationaliste finlandaise dominante et à explorer les œuvres de l’avant-garde européenne. Ceci a conduit vers 1980 à la fondation du groupe informel connu sous le nom de Ears Open Society, comprenant Lindberg et ses contemporains Hämeeniemi, Kaipainen, Saariaho et Salonen, qui visait à encourager une plus grande prise de conscience du modernisme dominant. Lindberg fait un pas décisif en 1981, en se rendant à Paris pour étudier avec Globokar et Grisey. Pendant cette période, il suit également les cours de Donatoni à Sienne et contacte Ferneyhough, Lachenmann et Höller.

Sa percée compositionnelle s'accompagne de deux œuvres de grande envergure, Action-Situation-Signification (1982) et Kraft (1983-85), inextricablement liées à sa fondation, avec Esa-Pekka Salonen, de l'ensemble expérimental Toimii. Ce groupe, dans lequel Lindberg joue du piano et des percussions, a fourni au compositeur un laboratoire pour son développement sonore. Ses œuvres, à cette époque, combinaient expérimentalisme, complexité et primitivisme, travaillant avec des matériaux musicaux extrêmes. À la fin des années 1980, sa musique s'est transformée vers un nouveau classicisme moderniste, dans lequel de nombreux ingrédients communicatifs d'un langage musical vibrant (harmonie, rythme, contrepoint, mélodie) ont été réinterprétés pour l'ère post-série. Les partitions clés de cette évolution stylistique ont été le triptyque orchestral/ensemble Kinetics (1988), Marea (1989-90) et Joy (1989-90), qui ont atteint leur accomplissement dans Aura (1993-94) et Arena (1994-95).

La production de Lindberg l'a ainsi placé à l'avant-garde de la composition orchestrale.

Lindberg a été compositeur en résidence du New York Philharmonic entre 2009 et 2012, avec de nouvelles œuvres dont Al Largo pour orchestre et le Concerto pour piano n°2 créé par Yefim Bronfman. D'autres résidences ont suivi avec le SWR Radio Symphony Orchestra Stuttgart en 2011-12 et le London Philharmonic Orchestra en 2014-17, avec des commandes dont le Concerto pour violon n°2 pour Frank Peter Zimmermann. Les œuvres récentes incluent TEMPUS FUGIT, commandé par l'Orchestre symphonique de la radio finlandaise pour célébrer le centenaire de l'indépendance finlandaise en 2017, les Sérénades pour l'Orchestre symphonique de Chicago et le Concerto pour piano n°3 créé par Yuja Wang et l'Orchestre symphonique de San Francisco sous la direction d'Esa-Pekka Salonen, en octobre 2022.

Parmi les récompenses figurent le Prix Italia (1986), le Prix de musique nordique (1988), le Prix Koussevitzky (1988), le Prix de la Royal Philharmonic Society (1992) et le Prix Wihuri Sibelius (2003).

Magnus Lindberg est publié par Boosey & Hawkes.

Janvier 2023

Traduit de l’anglais et réimprimé avec l'aimable autorisation de Boosey & Hawkes

 

Oeuvre(s)

" Serenades "

Pour orchestre

Ed. Boosey & Hawkes

SÉLECTION 2024

Une grande partie de la musique que j’écris est souvent rapide et assez explosive – la « musique lente » n’a jamais vraiment été ma tonalité, pour ainsi dire. Ainsi, lorsqu'on m'a demandé d'écrire une sérénade, j'ai commencé avec une idée musicale qui, au fond, semble lente, mais qui décolle ensuite dans de nombreuses directions contrastées, avec de grandes coupures et des changements rapides. Malgré cela, la musique véhicule une sorte de qualité nocturne. Depuis que j’avais écrit Ottoni pour la section de cuivres du Chicago Symphony, en 2005, j’avais très envie d’écrire à nouveau de la musique pour cet orchestre extraordinaire. Avec cette commande devant moi, je savais que je devais écrire plus qu’une musique lente – Je voulais écrire une musique qui mette en valeur la virtuosité chatoyante de l’orchestre.

Donc au final, la sérénade que j’ai composée est sauvage.

- Extrait du livret du programme de la BBC et traduit en français

" Shadow of Future (2019) "

Pour ensemble

Ed. Boosey & Hawkes

SELECTION 2021

La pièce de Magnus Lindberg reprend le titre d’un poème d’Edith Södergran (1892–1923), finnoise, comme lui, d’une famille et de langue suédoises. Södergran figure parmi les pionniers des modernistes suédois qui ont employé les vers libres. Elle écrivait à la première personne, un « je » très proche d’elle-même. Son « Shadow of the Future » (Ombre de l’avenir), datant de la Première Guerre mondiale ou juste après, commence ainsi : « Je sens l’ombre de la mort ». Après six vers consacrés au destin et au pressentiment, dans un second temps, le poème se tourne alors vers la lumière : « L’avenir projette sur moi son ombre sacrée, qui n’est rien d’autre que les fluides rayons du soleil ». Sa santé en déclin, la poétesse a la prémonition d’un temps après sa mort, un temps où elle est néanmoins pleine de lumière.

C’est cette certitude de la vie au sein même de la mort qui a amené pour la première fois l’an dernier Lindberg à Södergran lorsqu’il a répondu à une commande pour une pièce marquant le centenaire de l’armistice de la guerre de 14-18 : Triumph to Exist, qui reprend également un poème datant de la guerre. « Son univers continue de m’habiter, explique-t-il. Lorsque je pense au monde actuel et à toutes les ombres qui assombrissent notre avenir, je pense que nous devons nous accrocher à un tel optimisme ». D’où le rayonnement et le caractère bondissant de Shadow of the Future, dont il a commencé l’écriture pour l’Ensemble intercontemporain immédiatement après sa pièce commémorant l’armistice.

Cette nouvelle œuvre est fortement thématique, presque avec insistance. Elle repose sur un thème en deux segments, présenté immédiatement par les cuivres, dès les premières mesures : la pièce s’ouvre sur une marche en quarte par tranches d’une seconde majeure et d’une tierce mineure. Elle est suivie d’une ascension plus variable, qui se propage souvent à toute la gamme et se conclut par un repli. La grande musique est déjà sous-entendue, et la promesse est tenue. À mesure que le contenu est élaboré, l’attention passe d’une famille d’instruments à une autre, au groupe des percussions, piano, harpe et deux percussionnistes jouant du vibraphone et du marimba (ajoutant une pointe d’exotisme).

Au bout de quelque trois minutes, la pièce (d’une durée de 17 minutes) se tourne vers la deuxième de ses quatre sections et les bois, tout en légèreté, se soulèvent doucement parmi les majeures ascendantes. Les cuivres restaurent le thème central et l’activité s’intensifie, jusqu’au commencement de la troisième section. Cette dernière met en scène des accords majestueux, que ces musiciens n’ont que rarement l’occasion de jouer ensemble, mais se termine par un duo de hautbois qui élabore une brève figure circulaire entendue dans la première section. Des figures semblablement lancées envahissent tout l’orchestre au début de la dernière section, durant laquelle les cuivres commencent par rester silencieux. Ils reviennent tout d’abord tout doucement, mais énoncent bientôt des rappels du thème. Arrive enfin le climax, avec l’éclat des accords de la troisième section et de nouvelles figures dansantes. Le retour des secondes majeures ascendantes entraîne la pièce vers sa coda.

" Concerto pour violon n° 2 "

Concerto

Ed. Boosey & Hawkes

SÉLECTION 2016

I     = 63 –

II    = 63 – Cadence

III    = 126

 

Le deuxième Concerto pour Violon de Magnus Lindberg a la même inspiration de romantisme abondant qu'il avait commencé à explorer dans son Concerto pour Clarinette (2002), choral-orchestral Graffiti (2009) et orchestral Al largo (2010). Il s'agit ainsi d'un nouveau chapitre dans sa préoccupation de longue date d'allier les ressources de texture du modernisme et la puissance structurelle de l'harmonie classique, fonctionnelle.

Fait habituel pour Lindberg, aucun des mouvements ne comporte d'indication de tempo verbal ; dans ce cas, la première ouvre par = 63 où le solo de violon stimule le reste de l'orchestre section par section. Tandis que la Quatrième Symphonie de Brahms s'ouvre non pas avec un air au sens classique du terme mais en jouant avec des quintes ouvertes, la ligne de solo de Lindberg n'est pas conçue en mélodie mais génère son impulsion continue en jouant avec et en développant de petites idées et motifs rythmiques (issus, comme l'explique Lindberg « d'harmonies et de schémas de ton » qu'il explorait), qui sont alors souvent repris et examinés par le reste de l'orchestre. Ce dernier se rapproche aussi de ce que l’on appelle « orchestre de Brahms » dans les cercles musicaux : double bois (avec en plus une clarinette basse), quatre cors, deux trompettes et trois trombones, des timbales et des cordes, mais cette œuvre nécessite également deux percussionnistes et Lindberg fait parfois du célesta et (plus rarement) de la harpe des partenaires importants dans le dialogue avec le violon en solo. Le premier mouvement se prolonge en une série d'apogées douces mais richement marquées où le tempo accélère et ralentit naturellement à mesure que l’œuvre se dévoile ; au bout de neuf minutes, elle déroule le mouvement central sans insistance, le tempo initial est le même qu'au début ; mais un soupçon de marche funéraire suggère qu'il s'agira bel et bien du mouvement lent et bientôt, les lignes des cordes s'allongent et, bien que la partie solo continue à tourbillonner comme un gibbon qui se balance à la cime des arbres, le rythme de l'orchestre s'accroît considérablement. 

Mais cela ne dure pas : une figure dominante s'étend sur tout l'orchestre et conduit à l'une des visions les plus insolemment romantiques de tout le répertoire de Lindberg, peut-être une vision de montagnes et de forêts qui ne serait pas incongrue dans la Symphonie Alpestre de Richard Strauss et il pourrait également s'agir d'un signe de l'héritage finlandais (comprendre de Sibelius) de Lindberg. 

La grandeur s'estompe doucement et laisse apparaître, toujours à = 63, la cadence, seule d'abord, mais repart avec une force telle que les cordes, puis le reste de l'orchestre interviennent pour la soutenir. La musique jaillit et atteint le sommet et s'éteint, ppp, reprend son souffle avant que le violon ne revienne sur la pointe des pieds, savourant un court dialogue avec le leader avant que le reste des cordes ne s'ajoute pour lancer le troisième mouvement, cette fois-ci à une cadence doublée :  = 126. 

Mais seulement 30 mesures plus tard, parmi les bois qui tourbillonnent et les éclairs lumineux du célesta et de la harpe, le tempo accélère encore à = 144. La musique semble s'acheminer vers une conclusion, mais le violon solo insiste sur un passage à doubles et triples cordes qui ralentit l'ensemble et une coda marquée chaleureusement apparaît, large et digne, fusionnant dans un passage rappelant une chorale, d'où le soliste émerge avec une figure montante (supportée par la clarinette basse, les bassons, les violoncelles et les basses), qui rappelle directement l'ouverture de l’œuvre.