Biographie

Magnus LINDBERG

Magnus Lindberg débute le piano à onze ans et entre à quinze ans à l'académie Sibelius où il étudie l'écriture, la composition et la musique électroacoustique dans les classes de Risto Väisänen, Einojuhani Rautavaara, Paavo Heininen et Osmo Lindeman. Magnus Lindberg rencontre Brian Ferneyhough et Helmut Lachenmann à Darmstadt, puis Franco Donatoni à Sienne, et devient en 1981 l'élève de Vinko Globokar et de Gérard Grisey à Paris. Il travaille au studio EMS à Stockholm, à la fin des années soixante-dix, puis au studio expérimental de la Radio finlandaise, ainsi qu'à l'Ircam, dès 1985.

Pianiste, interprète d'œuvres de Berio, Boulez, de Stockhausen ou de Zimmermann, il fonde en 1977 avec, entre autres, Kaija Saariaho et Esa-Pekka Salonen, l'association Korvat auki (Ouvrir les oreilles) et en 1980, l'ensemble Toimii (Ça marche !), qui seront le laboratoire de ses expérimentations compositionnelles.

Il est lauréat de la Tribune des compositeurs à l'Unesco, en 1986 pour Kraft (1985), qui obtient aussi le prix du Conseil nordique en 1988. Lindberg est récompensé du prix Italia en 1986 pour Faust (1986). Le compositeur reçoit par ailleurs le prix Koussevitsky en 1988. Il est nommé professeur de composition au conservatoire royal de Suède en 1996.

En 2003, Lindberg reçoit le prestigieux prix Wihuri Sibelius. Il est élu membre de l'Académie des arts de Berlin en 20011. Il est membre du jury du prix de composition Tōru Takemitsu en 2004.

Source : Ircam – Editions Boosey&Hawkes

 

Oeuvre(s)

" Shadow of Future (2019) "

Pour ensemble

Ed. Boosey & Hawkes

SELECTION 2021

La pièce de Magnus Lindberg reprend le titre d’un poème d’Edith Södergran (1892–1923), finnoise, comme lui, d’une famille et de langue suédoises. Södergran figure parmi les pionniers des modernistes suédois qui ont employé les vers libres. Elle écrivait à la première personne, un « je » très proche d’elle-même. Son « Shadow of the Future » (Ombre de l’avenir), datant de la Première Guerre mondiale ou juste après, commence ainsi : « Je sens l’ombre de la mort ». Après six vers consacrés au destin et au pressentiment, dans un second temps, le poème se tourne alors vers la lumière : « L’avenir projette sur moi son ombre sacrée, qui n’est rien d’autre que les fluides rayons du soleil ». Sa santé en déclin, la poétesse a la prémonition d’un temps après sa mort, un temps où elle est néanmoins pleine de lumière.

C’est cette certitude de la vie au sein même de la mort qui a amené pour la première fois l’an dernier Lindberg à Södergran lorsqu’il a répondu à une commande pour une pièce marquant le centenaire de l’armistice de la guerre de 14-18 : Triumph to Exist, qui reprend également un poème datant de la guerre. « Son univers continue de m’habiter, explique-t-il. Lorsque je pense au monde actuel et à toutes les ombres qui assombrissent notre avenir, je pense que nous devons nous accrocher à un tel optimisme ». D’où le rayonnement et le caractère bondissant de Shadow of the Future, dont il a commencé l’écriture pour l’Ensemble intercontemporain immédiatement après sa pièce commémorant l’armistice.

Cette nouvelle œuvre est fortement thématique, presque avec insistance. Elle repose sur un thème en deux segments, présenté immédiatement par les cuivres, dès les premières mesures : la pièce s’ouvre sur une marche en quarte par tranches d’une seconde majeure et d’une tierce mineure. Elle est suivie d’une ascension plus variable, qui se propage souvent à toute la gamme et se conclut par un repli. La grande musique est déjà sous-entendue, et la promesse est tenue. À mesure que le contenu est élaboré, l’attention passe d’une famille d’instruments à une autre, au groupe des percussions, piano, harpe et deux percussionnistes jouant du vibraphone et du marimba (ajoutant une pointe d’exotisme).

Au bout de quelque trois minutes, la pièce (d’une durée de 17 minutes) se tourne vers la deuxième de ses quatre sections et les bois, tout en légèreté, se soulèvent doucement parmi les majeures ascendantes. Les cuivres restaurent le thème central et l’activité s’intensifie, jusqu’au commencement de la troisième section. Cette dernière met en scène des accords majestueux, que ces musiciens n’ont que rarement l’occasion de jouer ensemble, mais se termine par un duo de hautbois qui élabore une brève figure circulaire entendue dans la première section. Des figures semblablement lancées envahissent tout l’orchestre au début de la dernière section, durant laquelle les cuivres commencent par rester silencieux. Ils reviennent tout d’abord tout doucement, mais énoncent bientôt des rappels du thème. Arrive enfin le climax, avec l’éclat des accords de la troisième section et de nouvelles figures dansantes. Le retour des secondes majeures ascendantes entraîne la pièce vers sa coda.

" Concerto pour violon n° 2 "

Concerto

Boosey & Hawkes

SÉLECTION 2016

I     = 63 –

II    = 63 – Cadence

III    = 126

 

Le deuxième Concerto pour Violon de Magnus Lindberg a la même inspiration de romantisme abondant qu'il avait commencé à explorer dans son Concerto pour Clarinette (2002), choral-orchestral Graffiti (2009) et orchestral Al largo (2010). Il s'agit ainsi d'un nouveau chapitre dans sa préoccupation de longue date d'allier les ressources de texture du modernisme et la puissance structurelle de l'harmonie classique, fonctionnelle.

Fait habituel pour Lindberg, aucun des mouvements ne comporte d'indication de tempo verbal ; dans ce cas, la première ouvre par = 63 où le solo de violon stimule le reste de l'orchestre section par section. Tandis que la Quatrième Symphonie de Brahms s'ouvre non pas avec un air au sens classique du terme mais en jouant avec des quintes ouvertes, la ligne de solo de Lindberg n'est pas conçue en mélodie mais génère son impulsion continue en jouant avec et en développant de petites idées et motifs rythmiques (issus, comme l'explique Lindberg « d'harmonies et de schémas de ton » qu'il explorait), qui sont alors souvent repris et examinés par le reste de l'orchestre. Ce dernier se rapproche aussi de ce que l’on appelle « orchestre de Brahms » dans les cercles musicaux : double bois (avec en plus une clarinette basse), quatre cors, deux trompettes et trois trombones, des timbales et des cordes, mais cette œuvre nécessite également deux percussionnistes et Lindberg fait parfois du célesta et (plus rarement) de la harpe des partenaires importants dans le dialogue avec le violon en solo. Le premier mouvement se prolonge en une série d'apogées douces mais richement marquées où le tempo accélère et ralentit naturellement à mesure que l’œuvre se dévoile ; au bout de neuf minutes, elle déroule le mouvement central sans insistance, le tempo initial est le même qu'au début ; mais un soupçon de marche funéraire suggère qu'il s'agira bel et bien du mouvement lent et bientôt, les lignes des cordes s'allongent et, bien que la partie solo continue à tourbillonner comme un gibbon qui se balance à la cime des arbres, le rythme de l'orchestre s'accroît considérablement. 

Mais cela ne dure pas : une figure dominante s'étend sur tout l'orchestre et conduit à l'une des visions les plus insolemment romantiques de tout le répertoire de Lindberg, peut-être une vision de montagnes et de forêts qui ne serait pas incongrue dans la Symphonie Alpestre de Richard Strauss et il pourrait également s'agir d'un signe de l'héritage finlandais (comprendre de Sibelius) de Lindberg. 

La grandeur s'estompe doucement et laisse apparaître, toujours à = 63, la cadence, seule d'abord, mais repart avec une force telle que les cordes, puis le reste de l'orchestre interviennent pour la soutenir. La musique jaillit et atteint le sommet et s'éteint, ppp, reprend son souffle avant que le violon ne revienne sur la pointe des pieds, savourant un court dialogue avec le leader avant que le reste des cordes ne s'ajoute pour lancer le troisième mouvement, cette fois-ci à une cadence doublée :  = 126. 

Mais seulement 30 mesures plus tard, parmi les bois qui tourbillonnent et les éclairs lumineux du célesta et de la harpe, le tempo accélère encore à = 144. La musique semble s'acheminer vers une conclusion, mais le violon solo insiste sur un passage à doubles et triples cordes qui ralentit l'ensemble et une coda marquée chaleureusement apparaît, large et digne, fusionnant dans un passage rappelant une chorale, d'où le soliste émerge avec une figure montante (supportée par la clarinette basse, les bassons, les violoncelles et les basses), qui rappelle directement l'ouverture de l’œuvre.