Biographie

Philippe BOESMANS

Oeuvre(s)

" Julie "

Opéra

Philippe Boesmans est né en Belgique à Tongres en 1936. Après des études de piano au
Conservatoire Royal de Musique de Liège où il obtient un Premier prix, il renonce à une carrière d'instrumentiste - malgré quelques concerts avec l'Ensemble Musique Nouvelle -, pour se consacrer à la composition en autodidacte. La rencontre de Pierre Froidebise, Henri Pousseur, Célestin Deliège et André Souris ainsi quelques stages à Darmstadt déterminent et assurent sa volonté de composer.
Ses premières oeuvres datent du début des années 1960 et témoignent de la profonde influence d'un sérialisme qui se fissure – Berio, Boulez, Pousseur, Stockhausen-, incluant consonances et périodicités rythmiques. En 1971, il est attaché au Centre de Recherches Musicales de Wallonie, et au Studio électronique de Liège. Producteur à la RTBF, il est depuis 1985 compositeur en résidence au Théâtre Royal de la Monnaie, qui lui commande plusieurs partitions, parmi lesquelles un opéra : La Passion de Gilles (1983), les Trakllieder (1987), ainsi que l'orchestration de L'Incoronazione di Poppea de Monteverdi (1989). Après Surfing (1992), le festival Ars Musica crée Reigen, opéra en dix dialogues sur la pièce homonyme de Schnitzler, dans une production de la Monnaie mise en scène par Luc Bondy.
Ses oeuvres, programmées par les principaux festivals internationaux - Darmstadt, Varsovie, Zagreb, Bruxelles, Royan, Metz, Avignon -, ont reçu de nombreux prix, parmi lesquels le Prix Italia pour Upon La-Mi (1969), le Prix de l'Académie Charles-Cros, le Prix international du disque Koussevitzky, le Prix de l'Union de la Presse Musicale Belge...
(Biographie de la médiathèque de l’IRCAM)
Philippe Boesmans signe avec Julie son quatrième opéra. Renouant avec le modèle de l’opéra de chambre initié par Reigen, le compositeur s’est concentré sur l’alchimie des rapports humains qui mènent l’héroïne du drame de Strindberg à mettre fin à sa vie. Trois voix, un orchestre de chambre, un lieu unique, le temps d’une nuit nous rendent témoins du destin de cette émouvante jeune femme.
Le livret reprend fidèlement la structure de la pièce de Strindberg faisant se croiser au centre deux trajectoires de vie, l'une s’élevant, l’autre s’écroulant. Luc Bondy et Marie-Louise Bischofberger ont réduit le texte de la pièce afin de faire place à la musique. « Un livret d’opéra doit être froid comme un synopsis de film afin que la musique puisse le fleurir » proclame Philippe Boesmans.
La musique jette un éclairage différent sur le drame de Strindberg, parlant du non-dit, des ombres du passé, des mensonges, de ce qui se cache derrière les mots. L’affrontement violent entre les personnages de la pièce livrés à leurs fantasmes est traduit par une musique insidieuse s’enroulant autour des mots. Les instruments ponctuent le texte ; une texture transparente permet une parfaite compréhension de celui-ci. L’orchestre de chambre composé de 19 musiciens, tous solistes, offre la couleur voulue tout en permettant les plans sonores multiples souvent utilisés par Philippe Boesmans.
Aux cordes, aux bois et aux cuivres s’ajoutent une harpe, un piano, des percussions et un
synthétiseur dont le haut parleur situé en coulisses permet les effets d’éloignement comme un écho du passé, ce passé qui joue ici un rôle important.
Le compositeur a privilégié les petits ensembles et les timbres isolés, jouant de mélanges subtils qui révèlent une plénitude sonore surprenante. Le flux du discours est interrompu, le temps est suspendu pour suivre le style réaliste d’une conversation. Les instruments viennent faire écho à la ligne vocale comme c’est le cas de la trompette qui s’approprie dès le début de l’opéra un élément de la chanson de Kristin.
L’écriture de Philippe Boesmans fait appel à de multiples polyphonies : superpositions des univers sonores des différents personnages, superpositions des espaces sonores séparés en plans distincts en plus des superpositions de lignes mélodiques autonomes.
Le chant se déploie sur des textures obtenues par des agrégats progressifs. De temps à autres une polarité sur un degré fait son apparition (do à la fin de l’opéra, par exemple). L’émergence d’une consonance ou d’un accord parfait est toujours porteur d’un poids expressif par la relation qui s’établit avec le contexte environnant. Comme un ciel bleu entrevu brièvement entre les nuées, la consonance est absorbée par un univers sonore en perpétuelle transformation. La fin du trio vocal de la scène 3 et la narration des rêves de la scène 5 illustrent ce phénomène. Des repères musicaux sillonnent l’opéra, s’attachant autant aux personnages qu’aux situations.
Les repères musicaux qui sont attachés à Julie évoquent une douleur qui vient de loin, de son enfance, d’un mal être originel hérité de ses ancêtres. Un motif mélodique de quatre notes ascendantes (si ré fa# sol#) apparaît à l’orchestre juste avant son entrée. Cet élément appartenant au monde sonore de Julie se rencontrera aussi sous forme d’agrégat tout au long de l’opéra.
Le profil préférentiel de la ligne vocale de Julie (mezzo-soprano) est construit sur un intervalle ascendant suivi par un long mouvement descendant teinté de chromatisme. Cette ligne est en règle générale descendante et volontiers virtuose. Les premières scènes sont caractérisées par un flux en doubles croches traduisant l’exaltation de la jeune femme. Après la scène 6, l’orage, la ligne vocale devient plus diatonique, presque atone. Julie est devenue l’ombre d’elle même, les répliques sont courtes, raréfiées.
Dans la première moitié de l’opéra, la tessiture du rôle de Jean (baryton) est étroite (une quinte) et s’ouvre au fur et à mesure. Une superposition de tierces élabore des motifs dissimulant une gamme par tons entiers ou un fragment de gamme par tons entiers. Cette sonorité est la signature de Jean.
Un motif descendant couvrant une quinte augmentée se fera entendre à plusieurs reprises dans les premières scènes. Peu à peu, la ligne mélodique s’enrichit d’autres intervalles : une quarte montante à la scène 5 pour raconter son rêve d’ascension. Lors de cette même scène, le contenu musical de la partie de Jean s’inscrit en contraste violent avec la dominance de mi mineur de la partie de Julie. Les deux lignes vont pourtant se rejoindre sur un mi commun. Une figure en tierces brisées vient ensuite sonner comme un avertissement, provoquant une extension de la tessiture vers l'aigu. La scène 5 s’achève sur le profil vocal de Jean donnant ses ordres. Après l’orage de la scène 6, la ligne vocale de Jean se fait plus colorée, plus volubile, les rôles se sont inversés, la séductrice est séduite. Jean adopte le style de Julie pour parler de ses projets d’avenir jusqu’au moment où Julie lui demande s’il l’aime. Néanmoins, l’atmosphère a changé par rapport au début.
Jean emprunte un motif de la chanson de Kristin du début pour inviter Julie à boire un verre. Le personnage de Kristin, la cuisinière, est une création de Philippe Boesmans et de Luc Bondy.
Son univers musical est principalement diatonique, proche d’une expression populaire : rythme simple, courbe franche, formules volontiers répétitives. Sa partie introduit d’emblée a cappella l’élément thématique qui innerve l’opéra entier. Cet élément sera repris aux moments importants par la trompette. Un agrégat comportant une quinte augmentée fait aussi partie de son vocabulaire vocal. D’après l’article de Anne Genette pour www.lamediatheque.be
Julie, opéra en douze scènes sur un livret de Luc Bondy et Marie-Louise Bischofberger, a été créé le 8 mars 2005 au Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles, par l’Orchestre de chambre de la Monnaie, Garry Magee (baryton), Malena Ernman (mezzo-soprano) et Kerstin Avemo (soprano) sous la direction de Kazushi Ono. La mise en scène était signée Luc Bondy.
Durée : environ 70 minutes