Né en 1958, à Genève, Michael Jarrell commence le piano dès la prime enfance avant de faire ses études musicales au Conservatoire de Genève. Il suit divers stages aux Etats-Unis (Tanglewood, 1979) puis travaille la composition à la Staatliche Hochschule für Musik de Freiburd im Bresgau avec Klaus Huber. Entre 1986 et 1988, il séjourne à Paris pour effectuer un stage d’informatique à l’IRCAM qui lui commande une pièce pour flûte Midi, hautbois, ensemble instrumental et électronique, Congruences.
En 1988-89 il est pensionnaire à la Villa Médicis de Rome et en 1989-90, à l’Institut suisse de Rome. Entre1991 et 1993, il est compositeur résident à l’Orchestre de Lyon, et depuis octobre 1993, il est installé à Vienne comme professeur de composition à la Hochschule für Musik.
Les oeuvres de Michael Jarrell disent toutes, à leur manière, que l’écriture ne procède pas ex nihilo. A l’image des dessins et portraits de Giacometti qu’il admire, Jarrell revendique la nécessité de « travailler sans cesse la même idée », dans des cycles de pièces qui, comme la série des Assonances initiée en 1983, forment un vaste « cahier d’esquisses ».
Ses titres, souvent, témoignent des parentés entre ses oeuvres. Somes Leaves, pour violoncelle seul et Somes Leaves II pour alto seul sont, en quelque sorte, les feuillets extraits de From the leaves of Shadow, concerto pour alto et orchestre de 1991. Prisme, pour violon seul, est une « mise à nu » de la partie soliste de … prisme/incidences…, concerto pour violon et orchestre de 1998. De même, Offrandes, pour harpe seule, expose à découvert le fragile instrument qui dialoguait avec un orchestre à cordes dans Conversations (1988).
Ce rapport d’extraction, cette façon de creuser dans la matière d’une écriture passée se formule à la lettre dans Aus Bebung , « extrait de Bebung », pièce de 1995 pour clarinette, violoncelle et ensemble.
L’écriture instrumentale de Jarrell a ceci de magique qu’elle travaille la couleur et le modelé par petites touches et retouches, créant un art de la « transition infime » (selon le mot d’Adorno pour Alban Berg). Sur un canevas harmonique souvent arrêté, il fait chatoyer les coloris, comme des relais de timbres alternant sur un dessin inchangé.
Si la musique de Jarrell aime le grave, les textures complexes et denses, la lenteur, elle ne renonce pas cependant aux fulgurances et aux emportements. C’est une musique souvent portée par le théâtre : … d’ombres lointaines…(1990), d’un style vocal puissant, faisant alterner avec bonheur le chanté et le parlé ; Dérives (1985), opéra de chambre et surtout Kassandra, monodrame sur le texte de Christa Wolf, créé en 1994 au Théâtre du Châtelet par Marthe Keller et repris, en 1999, au Théâtre des Amandiers démontrant la vitalité de cette partition où dominent les couleurs sombres et obsédantes de l’interrogation.
NOTICE
Galilée, opéra en 12 scènes d’après La vie de Galilée de Bertolt Brecht, a été créé le 25 janvier 2006 au Grand Théâtre de Genève par l’Orchestre de la Suisse Romande, les Choeurs du Grand Théâtre, Claudio Otelli (Galilée), Peter Bording (Andrea Sarti), Hanna Schaer (Madame Sarti), Ulfried Haselsteiner (Ludovico), Elzbieta Szmytka (Virginia), Peter Kennel (l’Inquisiteur)… placés sous la direction de Pascal Rophé. Réalisation informatique musicale de l’Ircam : Gilbert Nouno. Mise en scène : Nicolas Brieger.
Galilée est le premier opéra de grand format de Michael Jarrell. « Je suis délibérément entré dans la "machineopéra" » dit le compositeur, acceptant d’écrire pour des chanteurs d’opéra qui ont un répertoire bien précis, de leur attribuer un personnage et de les faire chanter avec leur technique classique. « J’ai accepté d’écrire un opéra, donc d’essayer un certain nombre de choses à l’intérieur d’un carcan donné. Peut-être me reprochera-ton d’avoir écrit un opéra trop « classique », parce que sa dramaturgie suit la chronologie et que je fais chanter des personnages… » Le compositeur a lui-même tiré son livret d’après La vie de Galilée de Brecht, resserrant quelques peu l’action et la concentrant sur le personnage de Galilée, figure historique dont Brecht a fait un être pétri de contradictions.
Contrairement à la structure de la pièce, bien délimitée en 15 scènes encadrées de chansons-frontispices, Michael Jarrell a conçu son opéra comme un flux ininterrompu de 12 scènes, cherchant à saisir les moindres nuances et évolutions des différents personnages mis en scène par Brecht. Son écriture n’est pas soumise à un seul et unique principe de composition, mais elle tente de trouver pour chaque situation une manière idoine de rendre cette dernière à la fois théâtrale et musicale, dans sa forme comme dans son expressivité propre.
L’orchestre développe ainsi tantôt des textures diaphanes, tantôt des effets de masses, le traitement de la voix s’avère extrêmement diversifié, du parlé le plus sec au chant le plus lyrique, et certaines superpositions (de répliques ou de scènes) cherchent à rendre l’aspect parfois désordonné et foisonnant de la réalité, en y puisant toujours une intense musicalité.
Le choeur est la plupart du temps en « voix off », le compositeur ne souhaitant pas lui donner une importance dramaturgique ; il apporte une sorte de commentaire musical de l’action et remplace presque les poèmes que Brecht a placés en frontispice de chaque scène mais sans cloisonner la pièce. Des interludes instrumentaux, très courts et toujours enchaînés aux scènes qui suivent et qui précèdent, dénotent le changement géographique ou le temps qui passe.
« Il reste que l’essentiel se passe à l’orchestre, que Jarrell traite avec un raffinement, une sensibilité et aussi une puissance proprement admirables. » (Harry Halbreich)
Durée : environ 1h40