Biographie

John SUPKO

Oeuvre(s)

" Songs of a Landloper  "

pour soprano et ensemble

NOTICE


Le mot anglais landloper vient de l’ancien néerlandais landlooper signifiant vagabond, aventurier, ou même renégat. Se situant quelque part dans la tradition de Schubert (Die Schöne Müllerin, Winterreise), de Mahler (Lieder eines fahrenden Gesellen), et de Vaughan Williams (Songs of Travel), parmi bien d’autres, Songs of a Landloper traite non seulement de voyage géographique, mais aussi de voyage musical.  Ces dix chansons s’ancrent dans des terrains stylistiques différents qui se distinguent radicalement les uns des autres.  Le principe qui unifie ces pérégrinations diverses est simple : je me suis laissé guider par ma passion pour des musiques extrêmement divergentes et je n’ai pas privé mes caprices d’empiéter sur des zones considérées par certains comme « problématiques » .  Le résultat est donc une sorte d’autoportrait en musique, souligné par ma citation de l’autodédicace de Satie de son œuvre « Prélude de la Porte héroïque du ciel » sur la première page de ma partition.  


Songs of a Landloper remet en question la tendance moderne – présente surtout dans les universités américaines – à réduire la musique à des catégories polémiques, ainsi que les motivations de ceux qui revendiqueraient la supériorité intrinsèque de tel ou tel contenu musical sur un autre.  Alors que l’œuvre se base sur ces questions là, elle en est aussi en quelque sorte ma réponse, mais une réponse à la fois sincère et trompeuse, triste et absurde, rassurante et déconcertante, nostalgique et dédaigneuse.  Je me sentais ballotté de tous côtés en écrivant cette œuvre :  d’un côté, j’ai été très heureux de pouvoir écrire ce qui est essentiellement une grande chanson d’amour à la musique elle-même, mais d’un autre côté, j'ai été consterné par la possibilité de voir mes efforts victimes de querelles académiques et extramusicales.  En ce sens, mon landloper est un « renégat » involontaire, mais il ne regrette rien.  Naturally – je me permets d’emprunter un mot de Gertrude Stein – I wanted more, but I do and can say that all that are here are those that I wanted the most, thanks and thanks again.

SYNOPSYS DES CHANSONS

1 .   w a l k i n g
Une évocation du style et du langage musical du compositeur anglais Gerald Finzi (1901 - 1956) sur un texte du poète et pasteur anglais Thomas Traherne (1636/1637 - 1674), l'écrivain préféré de Finzi.
 
2 .   e n c o u n t e r
Un « groove » rythmique construit autour de la soprano qui déclame un extrait du livre The Principal Navigations, Voyages, Traffiques & Discoveries of the English Nation (deuxième édition, 1598 - 1600) de Richard Hakluyt (c. 1552 - 1616). Le texte raconte l’histoire d'un affrontement entre des officiers anglais avec un contingent de soldats espagnols dans les Antilles en 1568.  Les instrumentistes fournissent des éléments trompeurs spécialement conçus pour ceux qui cherchent à politiser la musique.  En donnant la fausse impression d’avoir approprié « insensiblement » de la musique aborigène, les instrumentistes chantent une mélopée complètement inventée, d’une culture  qui n’existe pas.  La moitié de la mélopée se compose d’un exercice d’alphabet d’écoliers coréens qui combine toutes les consonnes de la langue coréenne avec une voyelle à la fois: ka, na, da ... ki, ni, di ... ko, no, do, etc.  Le reste de la mélopée se compose de sons bruyamment aspirés.

3 .   l e m ,   a r t a u d ,   s a n d ,   m a e t e r l i n c k
Une « cheap imitation » (cf. John Cage) des dix premières mesures du premier mouvement de Le marteau sans maître de Pierre Boulez (1925).  Ces mesures ont été coupées, remontées et enlacées par plusieurs variations de la première phrase vocale du troisième mouvement.  Une citation de l’œuvre Also sprach Zarathustra de Richard Strauss (1864 - 1949) situe le Boulez dans un contexte tonal suréel. Le texte original de René Char (1907 - 1988), est soumis à une partie de « word golf » (cf. Vladimir Nabokov) dans laquelle la roulotte rouge de Char est transformée en la baleine blanche en 5 « coups » .  Cette chanson dispose également d'une interjection violemment improvisée par le percussionniste, ainsi que le refrain publicitaire (familier aux américains) de la National Broadcasting Company (NBC).

4 .   i ’ m   n o t   a s h a m e d   t o   o w n   m y   l o r d
Une transcription à peu près exacte d’un enregistrement de l’hymne I’m Not Afraid to Own My Lord chanté dans le style antiphonal primitif dit « lined-out » par les membres d’une église baptiste intégriste en Kentucky.  L’enregistrement original peut être entendu ici: http://www.oldregularbaptist.com/music.html
L'ensemble est divisé en « chef » (clarinette de basse) et « congrégation » (soprano, violon, violoncelle et guitare électrique), alors que le clavier électrique fournit un drone constant.  Tous les instrumentistes imitent le style vocal de l’enregistrement original avec leurs instruments ainsi qu’avec leurs voix.
 
5 .   c o u n t e d   d a y s
Une mise en musique du court poème Vers l'arbre-frère aux jours comptés de René Char, traduit par le compositeur.  Cette chanson comprend une citation de Shareno horo, une chanson écrite par le compositeur et gadulkaïste bulgare Georgi Andreev. Le reste de la chanson se compose d'un procédé rythmique additif basé sur des rythmes bulgares tandis que la soprano flotte, indifférente, au-dessus de la danse.
 
6 .   f a t   o n   f r u i t ,   o r ,   i n t e l l i g i b i l i t y
Un air jazz sur les maux des glucides, ou peut-être une chanson hors de sens, cruellement destinée à tromper des freudiens et autres chercheurs de la Vérité. Qui peut dire?
 
7 .   i d u m e a
Une collision de deux sortes de musiques pentatoniques: l’air « shape note »  Idumea de la collection Southern Harmony (1835) de William Walker (1809 - 1875) superposé sur une « cheap imitation » (cf. chanson 3) du début du Concerto in Slendro (d’inspiration balinaise) de Lou Harrison (1917 - 2003). Tous les membres de l'ensemble peuvent chanter pendant qu’ils jouent cette pièce.
 
8 .  l e t ’ s   g e t   s e r i a l
Une chanson d'amour moderniste qui commence avec un extrait de la chanson What a Fool Believes écrite par Michael McDonald (1952 -), Kenny Loggins (1948 -), et les Doobie Brothers et progresse vers une harmonisation dodécaphonique d’une version approximative de la chanson Let's Get Physical de Olivia Newton John (1948 -).  La série dodécaphonique employée est la même série symétrique réalisée par Anton von Webern (1883 - 1945) pour sa Symphonie, op. 21 (1928). Au milieu de cette chanson se trouve une citation condensée des variations I., III. et V.  du deuxième mouvement de la symphonie de Webern. Le compositeur souligne que la partie de la clarinette à partir de la mesure 449 de Let's Get Serial est une citation exacte, sans modification, de la partie de la clarinette dans la Variation VI. du Webern, superposée à la mélodie Newton John et recontextualisée par le « riff » Doobie Brothers.
                 
9 .  c l o s e   y o u r   e y e s
Une mise en musique de deux fragments de texte de Die Schöne Müllerin de Wilhelm Müller (1794 - 1827):
1) « Thu’ die Augen zu ! » ( « Ferme les yeux ! » ) de Des Baches Wiegenlied;
2) « Die Lerche wirbelt ... » ( «  L’alouette roucoule ... » ) de Morgengruß
Deux oiseaux relient la neuvième et la dixième chanson:  l’alouette et le rossignol.  Le rossignol figure dans la citation de Œdipe à Colone de Sophocle ( « ti/naj xw/rouj a0fi/gmeqa; » ) imprimée à la tête de la neuvième chanson.  Lorsque le vieux voyageur aveugle demande à sa fille, Antigone, de décrire le pays dans lequel ils viennent d’arriver. Antigone mentionne des rossignols.  Le deuxième oiseau, l’alouette, figure dans l’extrait de Müller.  Ces deux oiseaux apparaissent dans le texte espagnol médiéval de la dixième chanson dans lequel le mot signifiant l’alouette – calandria – vient du grec ancien, ka&landroj.
Les « deux fantômes » de cette chanson sont musicaux:  le premier est la mélodie de Des Baches Wiegenlied; l’autre est une sorte de musique de koto imaginaire.
Le deuxième fragment de Müller ( « Die Lerche ... » ) a été traduit en russe pour mettre en valeur le moment culminant de la chanson qui conduit directement (attacca) à la chanson finale.
                 
1 0 .   m e s   d e   m a y o
Cette dernière chanson est construite autour d'une citation métriquement incorrecte du premier mouvement du Concerto pour piano en la mineur, op. 54 de Robert Schumann (1810 - 1856). Elle intègre un fragment de la mélodie qu’a composée Paul Bowles (1910 - 1999) pour le même texte en 1944. Ce texte, parfois connu sous le titre Romance del Prisionero (La chanson du prisonnier), existe en plusieurs versions. La version actuelle est la même que Bowles a utilisée dans sa propre chanson.