Thierry Pécou étudie le piano ainsi que l'orchestration et la composition au Conservatoire de Paris où il remporte les premiers prix pour les deux cursus. Des bourses d'études l'ont amené au Canada de 1989 à 1993, en Russie de 1994 à 1995, puis en Espagne et en Amérique latine de 1997 à 1999.
Formé par des cultures musicales de périodes et de lieux historiques lointains, Pécou poursuit un chemin individuel, loin de l'avant-garde. Il s’inspire du langage et des mondes intellectuels de l’Amérique précolombienne et des civilisations amérindiennes pour composer la Symphonie du Jaguar, dont la première représentation a été acclamée en 2003 par l’Orchestre National d’Ile de France, dirigé par HK Gruber. La cantate Passeurs d’eau (2004) s’inspire également des Indiens d’Amérique du Nord. On trouve des traces d'autres cultures telles que la Grèce antique dans Les filles du feu (pour hautbois ou clarinette et orchestre de chambre, 1998). D'autres œuvres font en outre allusion à la musique africaine et chinoise ancienne (La Barque au rêve clair pour erhu et orchestre, 2007), moins pour les citations folkloriques, que pour les couleurs tonales et les intuitions.
Pécou compose pour un large éventail de genres allant du solo aux compositions pour orchestre, en passant par le piano et le théâtre musical.
Pécou interprète régulièrement ses propres œuvres pour piano et ensembles de chambre, en créant également de nouvelles interprétations. Il fonde le Zellig Ensemble en 1998 et en est le pianiste jusqu'en 2010. Il est actuellement directeur artistique de l'Ensemble Variances auquel il participe également en tant que pianiste.
Il a composé trois opéras au cours de la dernière décennie dont L'Amour coupable créé par l'Opéra de Rouen en 2010 et cité comme la meilleure première mondiale de l'année 2010 par le Syndicat de la Critique Théâtre, Musique et Danse.
Thierry Pécou a reçu de nombreux prix, dont le Prix Pierre Cardin de l'Académie des Beaux-Arts (1996), Prix des jeunes compositeurs de la Sacem (2004). En 2010, la Fondation Simone et Cino del Duca de l'Institut de France lui a décerné le Grand Prix de Composition. En 2016, il a reçu le Grand Prix de la SACEM pour la composition symphonique. L'enregistrement de sa Symphonie du Jaguar avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par François-Xavier Roth par harmonia mundi a été primé par le Diapason d'or de l'année 2010 et le Grand Prix de l'Académie Charles Cros.
Thierry Pécou vit et travaille actuellement à Rouen.
Source : Editions Schott
NOTICE
Selon mes premiers rêves, avant d’être le lieu d’un récit, l’opéra aurait été le champ volcanique où s’exprimeraient des forces primordiales, s’expurgeraient pulsions primaires et douleurs récurrentes. Nourri des réflexions de Nietzsche (Naissance de la Tragédie) et d’Antonin Artaud (Théâtre de la Cruauté), j’aurais voulu dans le sillage de ce dernier et de sa vision des théâtres d’Extrême-Orient, que l’opéra s’occupe de l’Univers et non de l’Homme, ou plutôt, que la force mystérieuse et métaphorique du phénomène musical renoue le lien entre l’Homme et les éléments du cosmos.
En ce sens, quelques-unes de mes partitions antérieures étaient déjà des opéras. “L’Homme Armé“ parlait de la guerre, “La Ville des Césars“ de l’amour, et “Passeurs d’eau“ de la naissance et de la mort à travers une réinvention de rituels amazoniens. Ces oeuvres, racontaient certes quelque chose, mais autrement que par une narration tendue comme un fil, en cherchant – aurait dit Gilles Deleuze – à reproduire, à rêver de nouveau des mythes que l’on ne comprend plus, dont nous nous serions en apparence détachés.
Au contact de l’univers romanesque et théâtral de Laurent Gaudé, j’ai alors trouvé la matière dont précisément je rêvais pour pousser “l’opéra rituel“ vers les exigences de l’opéra et de sa tradition : un sujet fort d’une brûlante actualité, mais traité avec le souffle mythique qui oblige à une nécessaire prise de distance.
L’ombre de la Tragédie grecque sous-tend et structure “Les Sacrifiées“ de bout en bout. Aussi le récit présente-t-il des personnages dont le profil archétypal prime sur la psychologie. L’humain ne surgit pas du cheminement individuel des personnalités qui évoluent dans le cours de la narration, mais bien plutôt des situations qui entrent en conflit avec leur libre arbitre. Pour Raïssa, Leïla et Saïda, la malédiction est plus forte que la volonté, c’est l’archétype qui domine, c’est le poids écrasant du Pouvoir et de l’Histoire qui agissent tel un rouleau compresseur, dans un principe implacable de réalité tragique. C’est l’humanité sans cesse rattrapée par ses démons, engluée dans ses propres contradictions. Les victimes d’un jour deviennent les bourreaux du temps suivant. Les situations se retournent, se renversent dans une troublante symétrie.
Pour faire exister ces tensions, ces rapports de forces, j’ai conçu autour du livret de Laurent Gaudé, un dispositif vocal comprenant trois chanteuses qui incarnent les trois femmes, et un choeur constitué d’une chanteuse, deux chanteurs (ténor et baryton-basse), une comédienne et trois comédiens. Ce choeur opère une double fonction : il est le choeur tragique à l’antique tout en donnant les rôles secondaires qui s’en extraient au fur et à mesure que progresse l’action. Le mélange de comédiens et de chanteurs m’a permis d’envisager une présence dramatique très engagée et une matière chorale qui se décline de la parole dite à la parole chantée ou du parlérythmé au cri. À ce choeur, répond le lyrisme des voix des trois protagonistes. Leur chant cultive l’ambiguïté entre chant populaire et chant lyrique, ambiguïté qui culmine lors des grandes lamentations qui achèvent chaque partie.
En arrière plan de chacun des trois tableaux, (Il faut souligner que Gaudé n’emploie pas le mot “tableau“ mais uniquement le nom des femmes pour désigner chaque partie : Raïssa, Leïla, Saïda) se dessine musicalement un espace sonore spécifique ayant sa couleur propre. Chaque fois, s’expose une opposition radicale entre deux mondes qui ne peuvent se comprendre, traduite par deux types d’écriture et deux types d’univers harmoniques.
Dans Raïssa, d’un côté le monde de l’armée française qui est celui de la verticalité ; les choses s’empilent, s’imposent d’en haut, comme la hiérarchie militaire. L’écriture est harmonique, homophonique, homorythmique. De l’autre côté, la Djemâa, mais aussi le paysage aride, sont figurés par l’horizontalité des lignes mélodiques souvent présentées dans un dépouillement tirant vers la monodie.
Dans Leïla,cette opposition verticalité/horizontalité est toujours latente, même si la frontière en est moins claire. Le choeur s’efface et la percussion apparaît, imposant une présence rythmique qui amène au premier plan la dimension rituelle. La percussion devient une voix, miroir ou ombre du chant des femmes, ici par coloration des textures instrumentales, là en donnant une fine base rythmique tournante sur des rythmes arabes, ou encore libérant un torrent de forces puissantes et rageuses.
Dans Saïda ,l’opposition entre deux mondes devient intra culturelle : du côté de la verticalité, le monde masculin avec les fondamentalistes, la malédiction et le drame qui s’impose d’en haut ; de l’autre côté, le monde des femmes, linéaire, plus étale, fuyant et courbe. Chacune des deux écritures joue sur son propre registre de complexité.
L’harmonie met en jeu de complexes alliages de hauteurs et de timbres en sons tempérés. La mélodie, travaille sur la couleur modale, empruntant aux modes arabes des quarts de tons, et l’esprit de l’ornementation.
J’ai parfois puisé, et en toute innocence, les modes d’expression dont je voulais charger le texte dans diverses sources provenant de l’écoute de grandes chanteuses orientales – Oum Kalsoum, Houria Aïchi notamment – et de musiques Arabo-andalouses, Touareg, Berbère, Soufies, etc. Ce détour par l’ailleurs n’a pas pour seule motivation de territorialiser l’action des Sacrifiées. C’est aussi le moyen pour moi de revitaliser librement le langage de l’opéra, et de tenter de lui donner la portée qu’il doit avoir par le regard critique qu’il pose sur notre monde.
Thierry Pécou, janvier 2008
La richesse sonore des chants des mammifères marins et ce que des biologistes considèrent comme leur créativité interrogent la place de l’Homme dans la nature dont la destruction menace jusqu’à la survie de l’humanité elle-même. C’est la question qui traverse cette partition où un violoncelle solo dialogue avec diverses baleines enregistrées par le bio-acousticien Olivier Adam. C’est également une tentative, à la suite des travaux de l’anthropologue Philippe Descola de changer notre regard sur l’opposition nature/culture.
Thierry Pécou
CREATION
19/04/2013. L'Arsenal de Metz. Par l’Orchestre National de Lorraine, dir. Jacques Mercier.
Commande de l'Arsenal Metz en Scène, Orchestre National de Lorraine, Deutsche Radio-Philharmonie Saarbrucken Kaiserlautern, Edition Schott.
NOTICE
Orquoy s'inspire de la musique des anciennes civilisations des Andes. L'œuvre reflète l'atmosphère des fiestas et des rites collectifs : les coloris, le mouvement des corps, la consommation rituelle d'alcool, le vertige des hauteurs, les flûtes stridentes, la puissance des percussions – tout cela provoque une saturation permanente des sens. Chez les Quechua, dont la musique est imprégnée d'éléments préhispaniques, le compositeur est, comme le chaman, un voyageur entre les sphères du surnaturel et de l'humain. Il soutire aux dieux leurs mélodies – ce que signifie le mot “orquoy“.
Thierry Pécou