© Droits Réservés

Biographie

Née en 1937 à Oran, Hélène Cixous est professeur, poète, philosophe, critique littéraire et écrivain. Elle s’est d’abord fait connaître avec son essai L’exil de James Joyce ou l’art du remplacement (1968) puis avec un roman autobiographique, Dedans (1968) pour lequel elle obtient le Prix Médicis. Porteuse des idéaux féministes et de la notion d’« écriture féminine », elle fonde le Centre d’études féminines de l’université de Vincennes en 1974 où elle enseigne la littérature anglaise.

Dès leur rencontre en 1964, Hélène Cixous a entretenu avec Jacques Derrida une longue amitié. De cette relation sont nées des collaborations telles que Voiles (1998), illustré par Ernest Pignon-Ernest, Portrait de Jacques Derrida en jeune saint juif (2001) et H.C. pour la vie, c’est-à-dire (2002).

Considérée comme l’un des plus importantes théoriciennes des différences sexuelles, ses travaux, initiés dans les années 1970, inspirent encore aujourd’hui les études littéraires et culturelles. Son œuvre théorique et son œuvre romanesque sont néanmoins indissociables ; elle conjugue en effet le récit autobiographique et fictionnel avec la réflexion philosophique et poétique.

Dès les nouvelles du Prénom de Dieu (1967), elle propose une nouvelle manière de formuler l'interaction des êtres et des choses, dans une littérature où, tout ayant déjà été dit, il s'agit de dire autrement, dans une langue neuve, audacieuse et onirique. Avec Le Troisième Corps et Les Commencements (1970), elle poursuit son travail de mise en chaos du sujet romanesque initié avec Dedans et se voue à une réflexion sur l'écriture (Neutre, 1972 ; Tombe, 1973 ; Prénoms de personne, 1974).

Au-delà de cette nouvelle naissance littéraire, l'auteur se consacre à l'évocation de l'émergence d'une femme émancipée de la tutelle de la société masculine (Le rire de la méduse, Sorties et Souffles, 1975 ; , 1976 ; Angst, 1977 ; Anankè, 1979 ;  Illa, 1980 ; Le livre de Prométhéa, 1983).

Après s'être essayée au théâtre avec, en 1976, Portrait de Dora, elle collabore depuis les années 1980 avec Ariane Mnouchkine. Optant pour une dramaturgie du détour, où la fresque historique et la parabole critique ont pour vocation de parler du temps présent, elle écrit L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (1985), L'Indiade (1987), La Ville parjure ou le Réveil des Erynies (1994) et Tambours sur la digue (2000).

Toutes ces pièces, qui traitent de sujets politiques contemporains, sont montées par le Théâtre du Soleil et font l'objet d'importantes recherches scéniques sur la narration. Plus récemment a été montée la pièce Les naufragés du fol espoir (2010).

Avec Les rêveries de la femme sauvage (2000), elle entame un véritable cycle autobiographique qui se poursuit par Le jour où je n’étais pas là (2000) et Benjamin à Montaigne (2001). Dans sa recherche autobiographique, elle s’occupe certes de questions portant sur l’histoire et l’appartenance, mais elle s’intéresse surtout aux langages et aux discours qui constituent la judéité et s’interroge sur le rôle qu’ont joué ses origines juives.

L’Algérie traverse l’œuvre d’Hélène Cixous : décrite dans Si près (2007) ou mentionnée dans Manhattan, Lettres de la préhistoire (2002) et L’Amour même, dans la boîte aux lettres (2005). Son Algérie est à la fois réelle et irréelle, charnelle et imaginaire, multiple et unique.

Dans Ève s’évade : la ruine et la vie (2009), « Tour à tour éplorée, ravagée, soumise, souveraine, Hélène Cixous livre une fois de plus son indispensable conversation avec la mort, ¬cette grande étourdie qui ne vient pas, et dont l'absence devient béance, inépuisable puits qui abreuve ses jours : Je meurs de ta vieillesse. Ce que me donne ta vieillesse : une Jeunesse terrible. La Vie nouvelle. Elle ne dort presque pas. Elle est aiguë, radieuse, déchirante, passionnée par l'éclosion successive des fleurs. Je vis dans la vieillesse. Je la suis. Je marche à l'aube. Dans l'allée tout naît. Invitation à être. » (Marine Landrot, Télérama, 12 septembre 2009)

Dans Double Oubli de l'Orang-Outang (2010) la narratrice, écrivain, retrouve dans un carton les pages de son tout premier manuscrit qu'elle pensait avoir jeté aux ordures en 1964. A travers ses réflexions et interrogations, le récit évoque la création littéraire : Il y a quinze ans, en 2009, j’ai retrouvé un Carton endormi depuis plus d’un demi-siècle dans les fonds d’un placard de ma maison d’écriture, qui s’est révélé être, tout comme son double antique le Scarabée d’Or, porteur d’un trésor dont j’avais absolument ignoré l’existence. […] Un trésor encore vierge, je me revois aujourd’hui exactement comme en 1964, emportée par une fièvre d’émerveillement épouvantée, le voir venir à moi mu par une force inéluctable.

Abstracts et brèves chroniques du temps. I. Chapitre Los (2013) est son dernier ouvrage : « On sait que les livres d’Hélène Cixous maintiennent en vie sa mère par l’écriture, à tel point qu’elle est désormais en pleine survie, en vie à plein surrégime. C’est donc en se préparant un jour à la mort annoncée de sa mère que la narratrice se réveille avec la perte d’un ami plus qu’un ami, un amant plus qu’un amant, dont on comprend assez vite qu’il s’agit de l’écrivain mexicain Carlos Fuentes, décédé le 15 mai dernier. Tant qu’il vivait, il était comme mort, j’étais tranquille, loin du souvenir, loin de l’oubli. Il n’y a guère que les morts qui soient vifs pour l’écriture, ils se rouvrent comme une plaie amoureuse. » (Eric Loret, Libération, janvier 2013)

Œuvres

Abstracts et brèves chroniques du temps

Éditions Galilée

"Ce livre est un chapitre du Livre-que-je-n’écris-pas. Il est le premier à s’être présenté mais, à la fin, il ne sera pas le chapitre un, j’en suis presque sûre, il n’y aura pas, entre tous les chapitres, de chapitre plus premier qu’un autre.
Il y a un livre que j’ai appelé Le-livre-que-je-n’écris-pas, dont je rêve depuis plus de trente ans. Il est le maître, le double, le prophète, presque le messie de tous les livres que j’écris à son appel. Ce livre me précède et me résume. Il rassemble toutes mes vies et tous mes volumes. Il me hante et me guide.
J’en ai souvent parlé à mes amis. Vous savez. Il fut toujours mon livre promis et donc désiré et désespéré, l’ombre devant tous mes pas. Je suis moi-même l’ombre de mon ombre. Il fallut à Stendhal se changer en un Henry Brulard pour écrire sa My Life, sa Ma Vie, en recueillant des morceaux de la vie d’Henry Beyle. On ne peut écrire le Livre My Life qu’en se détachant en pièces et se reliant en riant.
De ce livre Jacques Derrida me disait : celui que tu n’écris pas s’écrit autrement. J’aurais voulu le voir, un jour, avant de mourir. J’y renonçai. Je n’ai jamais voulu que lui, je n’ai jamais renoncé qu’à lui. Il ne m’a jamais quittée. Il fut comme un immortel qui n’aurait jamais connu de naissance. Et je n’ai jamais vu son visage de face. J’aperçois son éclat voilé, son dos indéchiffrable, debout sur l’étagère du ciel, sa silhouette élégante, tout à fait étrangère et familière, de revenant du futur. J’ai toujours imaginé qu’il viendrait, naturellement. Quand ? Après l’ensemble de toutes mes morts ? Juste avant, ou juste après, la dernière de mes morts.
Il m’aura donc toujours manqué les yeux pour le voir, les yeux voyants, vivants, capables de regarder en face sans larmoyer tous les visages du Visage de dieu-le-tout, autrement nommé My Life. (On comprend pourquoi Stendhal se présentant pour Beyle ne pensait « sa » « vie » que comme son étrangère)
Le Livre qui me contenait, moi et mes vies, était avec moi, devant moi, au-delà de moi, marchant comme une colonne diffuse, indistincte, plus moi-même que moi, comme une âme toute puissante privée d’enveloppe, une lettre trop nue, que j’aurais presque pu lire, mais autrement.
Ces ans-ci, je ne l’attendais plus. Je me faisais une résignation. C’est alors.
C’est toujours alors, et seulement quand on a traversé le désespoir, qui ne cesse d’espérer, et que l’on a atteint le calme, que l’Inattendu absolu arrive. Alors :
Ce livre-ci s’est présenté, d’un seul coup, « un beau matin », entièrement écrit, flottant juste devant la fenêtre de mon bureau, clairement constitué, comme un rêve sorti à terme de la tête d’un rêve. Je l’ai rapidement recopié, sans le quitter des yeux, en conservant scrupuleusement ses indications, ses rythmes, ses moments de silence. Je l’ai trouvé. Tel que vous le voyez.
C’est un pétale du Livre-que-je-n’écris-pas. Un pétale. Détaché du tout de la fleur du Livre. Los, comme le dirait ma mère en sa langue allemande. Los : détaché. C’est-à-dire : arrivant : mobile : autonome : destinal. L’instant d’une vie. Un instant est toujours un présent. Ce n’est pas un récit. C’est un aujourd’hui même, quelles que soient sa date, son action, sa durée. C’est une synchronie. Un instantané symphonique : il se passe ici-et-maintenant, à toute vitesse. À sa condensation, à ses sursauts, à son éternelle jeunesse, à son allure précipitée de revenant de la mémoire, on pourrait le prendre pour un rêve. Il est entièrement vrai.   Carlos est entièrement vrai. Est un instant.
Tout instant est également le présent.
C’est un pétale détaché de la fleur de ma vie.
Le détachement a eu lieu par accident. Le livre-chapitre-pétale, a été arraché à la fleur par le violent coup d’une mort. En vérité, il doit sa mise en liberté littéraire littéralement à la mort. La vie que donne la mort, ou plutôt qu’elle rend, cette vie née de la mort, ce serait la littérature ?
Si Carlos n’était pas mort brusquement, mort de mort soudaine, emporté d’une heure à l’autre dans le fleuve du temps, celui qui est écoulement, il ne se serait peut-être jamais retrouvé vivant dans le monde des pétales de livre.
Soudain, ce matin-là, j’ai vu l’univers du Livre-que-je-n’écris-pas : c’est une infinité de présents. Il est structuré comme une fleur.
Dans cette fleur les pétales sont des pages non numérotées.
Le pétale est aussi une fleur. Il est à la fois une page qui fait partie d’un tout structuré et un individu détachable, une fleur de la fleur.

Mon éditeur me demande si je sais déjà quels seront les prochains chapitres. J’en aperçois quelques-uns, par la fenêtre, dis-je. Plusieurs sont presque détachés. Qu’ils vivent déjà, je le sens. Un coup de vent, pas moi, décidera, bientôt."


- Hélène Cixous

Pour l'ensemble de son œuvre