Pour Yves Bonnefoy, « le traducteur, c’est le lecteur absolu, pénétrant dans l’oeuvre qu’il a rejointe en son moment historique », ce pourquoi le poète était parfaitement conscient des difficultés mais aussi de la nécessité de retraduire Shakespeare comme le prouve son essai Shakespeare et le poète français. Il y est sensible à la quasi-absence d’une « traduction à la fois complète et hautement littéraire », restituant au moins « un peu de la substance de son admirable poésie ».
C’est pour les Œuvres complètes publiées par le Club français du livre qu’ Yves Bonnefoy a traduit une série de pièces et de poèmes de Shakespeare : Henry IV, Jules César, Hamlet, Le Conte d’hiver, Vénus et Adonis, Le viol de Lucrèce puis, en dehors de cette prestigieuse collection, Le Roi Lear, Roméo et Juliette, Macbeth, La Tempête, Othello, Comme il vous plaira et Vingt-quatre sonnets. Les traductions de Bonnefoy s’imposent par leur transparence, leur exactitude et leur élan poétique. Pourtant, jamais pleinement satisfait, le poète n’a eu de cesse de reprendre ses traductions donnant un aspect work in progress à son entreprise shakespearienne.
Quant à l’oeuvre poétique d’ Yves Bonnefoy, elle tourne autour d’une interrogation centrale : celle de savoir ce que peut signifier vivre en poésie. Car, la poésie peut s’opposer au désastre et être une voie vers moins de malheur ; la poésie, c’est « changer la vie » autant que rénover les rapports sociaux : « la poésie, c’est rechercher le contact avec ce que la vie a d’immédiat, dans des rapports avec d’autres êtres qui en deviennent de l’absolu, et cette expérience ne peut se faire qu’en délivrant la parole des systèmes conceptuels qui substituent à cette plénitude possible leurs représentations abstraites. (…) La poésie accorde à l’être le droit à son visage, à sa pensée, à son désir propre. Et c’est bien là le fondement d’un régime démocratique. Car cette reconnaissance de l’autre, c’est tout autant celle de l’autre en nous (…) et s’ouvre ainsi la voie d’un Je universel dont l’horizon est le monde, naturel et même cosmique ». (Yves Bonnefoy in Le magazine littéraire, juin 2003)