Au piano (2003), son dernier roman, nous rappelle que le maître de Jean Echenoz n’est autre que Flaubert : même obstination de la phrase parfaite, goût des vertiges temporels, construction savante et ludique qui met en jeu, derrière un récit manifeste, toute une architecture seconde de réseaux narratifs latents. De même, comme chez Flaubert, son écriture fait coexister des registres très contrastés de la gravité à la drôlerie. La première partie d’Au piano est un « formidable portrait de concertiste déconcertant, désabusé, talentueux et alcoolique » (J-B Harang), Max Delmarc, qui meurt à la page 86. Mais « il semblait cependant, qu’une fois mort, Max continuât de ressentir les choses ».
« La deuxième partie a pour cadre un établissement étrange, mi-hôpital mi-prison de luxe, quelque chose entre Tati et Kafka » (P. Kéchichian) : le purgatoire où rôde le personnage porte-malheur des Grandes Blondes, Béliard, sorte d’ange gardien du diable. Quant à la dernière partie, elle se déroule en enfer, pas si loin de nous, jusqu’à l’épilogue dont on ne sait s’il relève « de la justice immanente ou de la névrose de destinée ».
Avec un art inégalable, Jean Echenoz mêle humour et émotions inquiètes, drôlerie et certitudes vacillantes ; le rire laisse entrevoir d’infimes fêlures dans la trame de la réalité, le trouble s’insinue.